Les samedi 2 et dimanche 3 mars, le musée du quai Branly – Jacques Chirac organise une nouvelle édition de «L’ethnologie va vous surprendre !» sur le thème du corps. Partenaire de l’événement, Libération publiera le lundi 26 février un supplément dans le quotidien et un dossier spécial à retrouver sur notre site.
Avoir confiance en soi et dans son corps, apprendre à se défendre : entre loisir, sport et militantisme, des femmes développent une nouvelle autonomie physique grâce à l’autodéfense féministe ou le roller derby, patins en équipe et inclusifs. Chercheuse à l’université libre de Bruxelles, Aurélie Aromatario vient d’achever une thèse sur la relation entre travail du corps et identité de genre dans trois pratiques émancipatrices (autodéfense féministe, roller derby et performances drag king). Elle sera présente au musée du quai Branly – Jacques Chirac, le 2 mars à 16 h 30.
Autodéfense féministe ou roller derby, qu’est-ce que les femmes cherchent quand elles souscrivent à ce type d’activités ?
Elles recherchent une forme d’alignement entre elles-mêmes et leurs corps. Elles souhaitent travailler sur une forme de vulnérabilité qui ne correspond pas à ce qu’elles perçoivent d’elles-mêmes. Dans ce contexte militant et collectif, ces femmes s’autorisent à exploiter et développer leurs capacités corporelles : de véritables transformations de soi peuvent advenir. De longue date le féminisme a questionné les corps des femmes et la façon dont une série de contraintes morales, légales ou sociales pèsent sur eux. Qu’il s’agisse d’occuper l’espace, de s’y mouvoir, de se vêtir ou se dévêtir, de soigner et d’être soignée, de jouir ou de faire jouir, d’enfanter, de vieillir, les corps féminins sont tout particulièrement soumis au contrôle, aux injonctions et à l’exploitation.
Comment le roller derby déjoue-t-il ces assignations ?
Pratiqué sur patins à roulettes, entre deux équipes qui s’affrontent sur une piste ovale, ce sport de contact se caractérise d’abord par un choix d’inclusivité radicale, qui, en entraînement comme en compétition, accueille femmes cisgenres, transgenres, personnes non-binaires ou hommes transgenres. L’atmosphère générale du roller derby emprunte à l’univers du rock, il permet une mise en spectacle de soi et des identités. Les skateuses donnent des représentations de femmes fortes, dans des rôles atypiques, d’autres formes possibles de féminité. Le roller derby a pris ces dernières années un tournant athlétique tout en consolidant ses affirmations politiques. Le jeu, mais aussi l’organisation en autogestion, est basé sur des valeurs d’autonomie : par les joueuses, pour les joueuses.
Comment ces pratiques font-elles bouger les normes de genre ?
Les corps féminins sont le plus souvent perçus comme vulnérables et renvoyés à une apparence esthétique, à un travail esthétique. Là, ils sont puissants, pas particulièrement vulnérables, valorisés non pour leur adéquation à des normes, mais pour leur capacité à agir, résister aux violences, être athlétiques et techniques dans une volonté d’émancipation.
Développer un autre rapport à son corps modifie-t-il plus largement le sens d’une existence ?
Cet activisme se révèle intégral, il implique une manière de penser qui englobe toutes les facettes de la vie, avec un effet transformateur sur la perception de soi. La confiance, la meilleure cohérence entre soi et son corps nourrissent les relations sociales, la vie amoureuse ou professionnelle. Les personnes vont témoigner de plus d’assertivité, c’est-à-dire qu’elles sont plus en capacité à s’exprimer, à défendre leurs droits ou leurs opinions. Elles ont plus confiance en elles, leurs capacités physiques et émotionnelles sont renforcées. Elles peuvent mieux résister aux confrontations, envisager plus d’interactions avec le monde. Il y a une volonté, dans ces formes particulières de militantisme, d’être dans une approche cohérente de l’existence qui se diffuse tout au long de la vie.