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Climat Libé Tour Bourges : tribune

Environnement : d’autres relations au monde sont possibles

Mettre fin à l’anthropocène, en réconciliant les êtres humains et le vivant, est un impératif face au réchauffement climatique. Capitale de la culture 2028, Bourges, territoire invisibilisé, veut incarner ce changement de paradigme.

Au festival du Printemps de Bourges, en 2019. (Martrou T/Andia)
Par
Sébastien Minchin
directeur du Muséum de Bourges
Publié le 02/04/2025 à 23h47

Dans un monde où l’actualité quotidienne nous écrase, il est de notre devoir d’imaginer et de conduire un changement complet de paradigme pour les générations futures en donnant la parole aux territoires que l’on a trop longtemps sous-estimés, alors qu’ils sont essentiels dans l’évolution planétaire actuelle et future. Depuis plusieurs mois, Bourges et son territoire se lancent dans ce défi et cette aventure hors norme.

Bourges capitale européenne de la culture 2028, c’est donner la parole aux territoires invisibles. C’est valoriser la biodiversité invisible au niveau planétaire. Le sol est le milieu que nous avons le plus maltraité par l’artificialisation urbaine et les pratiques agricoles, alors qu’il contient l’une des biodiversités invisibles les plus importantes de la planète. Nous découvrons juste le fonctionnement des micro-organismes qui le peuplent, fait de communications permanentes, de coopérations et de symbioses, jouant un rôle majeur dans le stockage de l’eau et du carbone.

C’est aussi valoriser la biodiversité invisible en chacun de nous. Les dernières découvertes du microbiote intestinal et de son rôle montrent que chaque être vivant est un milieu grouillant de vie, abritant dix fois plus de micro-organismes que de cellules constituant notre corps. La coévolution de ces invisibles avec notre corps nous permet par relations symbiotiques de pouvoir vivre en bonne santé. Ne pas leur fournir des conditions favorables explique les problèmes de santé de l’humanité, surtout quand on découvre que notre corps est le lieu d’autres microbiotes (cutanés, pulmonaires, urogénitaux et ORL) tout aussi importants.

Changement de paradigme

C’est enfin valoriser et mettre en relation les territoires invisibles humains qu’ils soient de Bourges, des milieux ruraux ou issus des peuples racines. Notre vision occidentale du monde, séparant l’être humain de la nature est totalement dépassée et à l’origine d’un impact sur la nature sans précédent dans l’histoire de la Terre, que l’on appelle anthropocène. D’autres relations au monde sont possibles, comme le crient depuis des décennies les peuples autochtones, qui représentent 5 % de l‘humanité mais conservent près de 80 % de la biodiversité planétaire. Ils ont été les premiers à instaurer les droits juridiques des fleuves, du sol, des forêts comme entité vivante au sein des Etats.

Fort de ces constats, associés à l’artiste Sandrine Salzard, nous souhaitons retourner le système et proposer aux visiteurs du muséum de Bourges, aux habitants humains, de vivre des expériences complémentaires mettant en avant d’autres relations au monde et à la nature. Ce changement de paradigme, prenant en compte tous ces territoires invisibles nous amène à imaginer une nouvelle ère, celle du “symbiocène”, néologisme inventé par l’australien Glenn Albrecht, et à mettre fin officiellement à l’anthropocène.

Le projet symbiocène n’est pas un retour à un monde passé mais une évolution vers un nouveau monde, où humains et non-humains coopèrent, vivent en symbiose et prennent soin les uns des autres. Et si nous construisions un territoire planétaire viable et désirable pour les générations futures ? Par ces expériences, Bourges devient un territoire d’avenir, prototype du symbiocène, où chacun, par ses actions symbiotiques, devient acteur et héros du changement. Tout est à imaginer, à concevoir, à tester, explorer, tenter. Car il n’y aura pas de plan B, ni sur Terre, ni sur Mars. L’échec n’est donc pas une fin, mais fait partie de la démarche scientifique dans ce changement de paradigme. Une devise nous inspire dans cette aventure extraordinaire : «Ils ont essayé de nous enterrer. Ils ne savaient pas que nous étions des graines.»