Ce 31 mai, Libération et Paris-I-Panthéon-Sorbonne lancent «l’Université Libé». Une journée pour faire débattre les différents courants progressistes sur des sujets politiques structurants. En partenariat avec le Crédit coopératif, ESS France, Backseat, la Mutualité française et la Fondation Jean-Jaurès. Le débat «Laïcité : sommes-nous vraiment irréconciliables ?» réunissait Eric Piolle, maire (EE-LV) de Grenoble, Rokhaya Diallo, autrice, journaliste, réalisatrice, Nicolas Mayer-Rossignol, maire (PS) de Rouen, Nicolas Offenstadt, historien à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne.
Manuel Valls avait-il raison ? Les gauches, qu’il qualifiait d’«irréconciliables», le sont-elles vraiment sur la question de laïcité ? Pour y répondre, encore faut-il s’entendre sur la définition de cette notion chahutée sur tout le champ politique. Pour Eric Piolle, il suffit de se référer à la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le maire de Grenoble, qui veut «remettre de la spiritualité» au cœur de la société, estime que «quand vous êtes dans l’espace public, vous n’êtes pas qu’un acteur économique». «La neutralité de l’Etat n’est pas celle du citoyen», rappelle Nicolas Mayer-Rossignol, le maire de Rouen, en se rattachant lui aussi à ce texte fondateur. L’historien Nicolas Offenstadt explique toutefois que la laïcité fait partie de ces «concepts de combat, qui ne sont pas figés, qui peuvent changer de définition». «On a étendu la laïcité à d’autres espaces, on en a fait l’outil d’une vision assimilationniste», juge d’ailleurs l’autrice Rokhaya Diallo, qui cite notamment la loi de 2004, qui interdit le port des signes religieux à l’école.
Eric Piolle, qui ne remet pas en cause le texte, estime lui aussi que la laïcité est aujourd’hui utilisée pour exclure une partie de la communauté nationale, les citoyens musulmans. «Je suis gêné par les interdits vestimentaires, ajoute-t-il alors que le débat sur la laïcité se focalise notamment sur la question du voile. Dans l’histoire, ça ne fonctionne pas.» Le socialiste Nicolas Mayer-Rossignol, lui, fait un pas en avant dans le débat : certes, il y a une «instrumentalisation de la laïcité par l’extrême droite pour exclure», mais aussi «une tentation politico-religieuse de s’affranchir des règles de notre République» émanant notamment de l’islam radical. «On surestime le pouvoir des musulmans», intervient Rokhaya Diallo, qui explique que les «musulmans sont minoritaires et appartiennent aux catégories sociales les plus précaires». Pour elle, peu importent les entorses, on ne peut pas traiter de la même manière l’islam et le catholicisme contre lequel s’est construite la laïcité, au temps de son hégémonie sociale et politique.
Eric Piolle, accusé par la droite et une partie de la gauche d’ouvrir la porte à une forme de communautarisme – pour avoir notamment autorisé le port du burkini dans les piscines municipales à Grenoble – raconte sa lassitude face aux attaques en «islamogauchisme». «J’ai l’impression de vivre dans la blague de Coluche : “Il vaut mieux se fâcher avec les musulmans qu’avec les racistes, ils sont moins nombreux”», rit-il. Son homologue de Rouen insiste de son côté : ne pas tomber dans le jeu du RN et stigmatiser certes, mais reconnaître que la laïcité est parfois «débordée par un prosélytisme religieux qui devient politique», contre lequel il faut lutter. En définitive, la gauche a des nuances, mais elle est capable d’en débattre.