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Climat Libé Tour : tribune

Erosion du littoral : «vivre avec» plutôt que «lutter contre»

Maire de la commune du Pouliguen (Loire-Atlantique), Norbert Samama appelle à la mise en place d’une stratégie locale et transversale.
A Port-en-Bessin-Huppain (Calvados), où des falaises subissent une érosion active, le 25 juin. (Artur Widak/NurPhoto.AFP)
par Norbert Samama, maire du Pouliguen
publié le 13 novembre 2024 à 14h57

Les incidences liées au changement climatique constituent une remise en cause permanente de notre manière d’appréhender notre environnement. Au-delà de l’adaptation à l’érosion croissante du littoral, elles induisent une remise en cause méthodologique et un questionnement sociétal.

En tant que maire de la commune de Loire-Atlantique la plus affectée par l’érosion, Le Pouliguen, préciser que «la mer avance, les terres reculent» est une réalité. Les éboulements de falaises se multiplient. Les événements climatiques récents laissent à penser que les prochaines décennies enregistreront des reculs encore plus conséquents. S’adapter nécessite donc d’anticiper, par l’adoption de politiques publiques excédant largement tout mandat électoral.

Associées, nos deux intercommunalités, qui regroupent une vingtaine de communes et 141 kilomètres de côtes, élaborent ainsi une stratégie locale de gestion intégrée du trait de côte (SLGITC), à horizon 2050 et 2120, à la suite d’un appel à projet lancé par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) et l’Association nationale des élus des littoraux (Anel). Cette stratégie part d’un diagnostic des enjeux, de l’habitat aux routes et réseaux, en passant par le tourisme et la biodiversité. Se pose alors la question des orientations stratégiques : que protège-t-on ? Jusqu’où ? Et en avons-nous la capacité ?

Construire un ouvrage en défense pour peu d’habitations là où la collectivité ne pourra ni investir ni l’entretenir car il se trouve constamment érodé, cela n’a aucun sens. En outre, la démultiplication de tels ouvrages déporte l’érosion et même l’aggrave, conduisant à la maladaptation.

Limiter les enjeux ou les relocaliser est une autre manière de s’adapter. Il faut savoir protéger, renoncer ou relocaliser sur la base d’un bilan coût/avantages.

Une conviction forte : la transversalité des sujets. Traduite dans une approche écosystémique des problématiques posées, elle est nécessaire. Vous ne pouvez pas anticiper l’érosion sans lier celle-ci à la capacité d’accueil du territoire, à la stratégie foncière ou à celle de la biodiversité. Ainsi, l’évaluation de la solution retenue pour aborder l’érosion côtière sera dépendante de trois facteurs : la vision sous-jacente à la politique publique, le financement disponible et la capacité de résilience de la population par une acculturation forte de nos concitoyens aux enjeux climatiques. Tout est lié.

Limiter les enjeux devrait être aussi de freiner l’anthropisation du littoral en interdisant, par exemple, les constructions dans une bande d’érosion large, définie scientifiquement sur la base d’aléas incertains mais dont le doute reste raisonnable. Mais comment expliquer une politique foncière à mener dès aujourd’hui pour un risque aléatoire à cinquante ans ? Une politique foncière limitée aux seuls déplacements d’ouvrages publics et non à l’indemnisation des habitants côtiers – 188 millions d’euros à horizon 2120 pour notre seule commune sur la base du prix au mètre carré actuel –, a-t-elle du sens pour le concitoyen et est-elle supportable financièrement pour la collectivité si jamais la solidarité nationale au titre du financement est absente ?

La mise en place de cette stratégie ne doit pas s’écarter d’une réflexion quant à notre rapport au temps (entre une action immédiate et le risque lent de l’érosion), mais aussi à notre rapport à la science (entre une hypothèse scientifique et une vérité incontestable), ainsi qu’à notre rapport au risque (entre le renoncement en laissant la nature faire son œuvre et la non-acceptation de celle-ci, persuadés que la protection est un dû sociétal).

La vraie question qui se pose entre la capacité d’agir de l’élu et l’acceptation du citoyen est malgré tout celle-ci : a-t-on encore le choix ? Devant les conséquences, certaines voix s’élèvent contre la réalité du changement climatique. Le courage des élus locaux devra être au rendez-vous pour apprendre à «vivre avec» l’évolution du trait de côte, plutôt que de «lutter contre».