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Etre jeune et vivre avec le VIH : «C’est comme refaire un coming out»

AIDES : 40 ans de mémoires de lutte contre le VIH/sidadossier
Ils sont trentenaires, ou à peine, et séropositifs. Passé l’annonce, ils racontent l’après : les traitements, les rencontres, les amours, les enfants…
Des militants de Aides à la marche de la Journée mondiale de lutte contre le sida, le 1er décembre 2017, à Paris. (cyril marcilhacy)
publié le 28 novembre 2024 à 19h36

Se découvrir séropositif : il y a trente ans encore, en France, ce diagnostic était synonyme de condamnation à mort. Puis les traitements curatifs – qui empêchent de transmettre le virus – et les préventifs sont arrivés, améliorant les conditions de vie des personnes vivant avec le VIH. Et si, aujourd’hui, la peur du virus s’est nettement estompée, malgré la progression de l’épidémie ces trois dernières années, les idées reçues sont, elles, encore très présentes. Selon une enquête de l’association Aides, qui fête cet automne ses 40 ans, plus de trois quarts des Français pensent, par exemple, qu’il est possible d’être infecté en ayant un rapport sexuel non protégé avec une personne séropositive sous traitement, ce qui est faux. Illustration d’une attitude sérophobe, conséquence de la mauvaise information : moins de la moitié des interrogés continueraient à voir une personne avec laquelle ils ou elles ont des relations sexuelles s’ils apprenaient qu’elle était séropositive. Comment, dans ce contexte, se construire et vivre sa sexualité quand on est séropositif et qu’on a moins de 35 ans ? Et comment les préjugés, tenaces, chamboulent-ils encore l’intimité des premiers concernés ?

Ahmed (1), 29 ans, technicien médical à Marseille

«J’apprends que j’ai le VIH à 18 ans. Or, je vis encore chez mes parents, il me faut donc cacher les trois cachets que je dois prendre par jour alors que ce sont des boîtes énormes. J’ai zéro libido, je me sens sale, voire dangereux. Je ne sais pas encore que, quand on est sous traitement et qu’on est indétectable, on ne transmet plus le virus. Pendant quatre ou cinq mois, je n’ai aucune sexualité. Je passe de l’ado dans la découverte qui baise à tout va au mec qui vit dans une culpabilité extrême. Je reprends une sexualité quelques mois plus tard. Je suis dans l’optique de ne le dire qu’à la personne avec qui je partagerai ma vie, mais pas aux partenaires de passage. A 21 ans par exemple, j’ai ma première relation sérieuse, elle dure un peu. Je le dis et ça se passe bien, comme ça a toujours été le cas par la suite. Malgré tout, aujourd’hui, la peur du rejet est encore là. J’en parle à mes amis, ouvertement, mais toujours pas à ma famille ou au travail. Dans le milieu médical, il y a aussi encore beaucoup de discours sérophobes… Sinon, je le vis bien, je suis passé de trois cachets par jour à une piqûre dans les fesses tous les deux mois, ça ne me définit plus.»

Mariama (1), 34 ans, aide à domicile en région parisienne

«En septembre 2023, cela fait un an que je suis sur le territoire français pour demander l’asile. J’ai l’habitude de me faire dépister, donc je fais un nouveau bilan de routine dans un laboratoire. C’est là que je découvre ma séropositivité. Sur le moment, c’est vraiment difficile, je n’y crois pas et je n’accepte pas ce diagnostic. C’est comme si j’étais dans un trou noir. Je ne me retrouve plus, je veux en finir. Je suis prise en charge, mais j’ai du mal à suivre mes traitements. Après quelques mois, je commence à accepter mon statut, disons à 50 %. Je suis accompagnée par des associations comme Actions Traitements, ça me remonte le moral. Mais je ressens un stress pas possible quand je dois passer deux jours en famille. Ils ont l’habitude de fouiller dans les affaires et j’ai peur qu’ils découvrent que je vis avec le VIH. Alors je ne prends pas les médicaments avec moi, car ils pourraient aller se renseigner à la pharmacie. Le secret, c’est aussi une manière de protéger mon enfant. Je me dis que c’est le temps qui va m’aider. Cela fait à peine un an. Aujourd’hui, je prends bien mon traitement, c’est déjà un grand pas pour moi.»

Alex (1), 26 ans, dans le marketing à Paris

«Il y a cinq ans, je contracte le VIH alors que je suis en échange à l’étranger pour mes études. Je pense tout de suite que c’est la fin. Dans les mœurs, le sida, c’est sale, dangereux, associé à la mort, etc. C’est la dégringolade. Je le dis tout de suite à mon compagnon, que j’ai rencontré là-bas et qui est aujourd’hui mon mari. Dans un premier temps, ça se passe mal, car il est persuadé d’avoir le virus lui aussi. Il est effondré, mais après une batterie de tests, il est bien séronégatif. Il décide de se battre avec moi, me suit en France et on remonte la pente ensemble. J’en parle à mes sœurs, mais je mets au moins deux ans à en parler à mes amis. C’est comme refaire un coming out. Une fois que je l’ai dit, je me sens hyper bien et soulagé. Quand le sujet vient en soirée, désormais, j’en discute librement. Je me rends surtout compte qu’on n’est pas assez informé. Depuis que j’en parle autour de moi, les gens se renseignent. On voit que je vis très bien et que je suis comme tout le monde.»

Sophie, 35 ans, mère au foyer dans la région de Genève (Suisse)

«Je suis contaminée par une seringue à l’hôpital au cours de ma première année de vie en Roumanie. Après mon adoption, j’arrive en Suisse. Mes parents me parlent du virus dans un langage enfantin. Ils me disent qu’il faut aider les petits soldats du sang. En 1998, la Conférence internationale de lutte contre le sida se tient à Genève. J’ai 8 ans. Je découvre que je ne suis pas seule et je comprends alors ce que ça veut dire d’être séropositive. Lorsque je rencontre mon conjoint, il y a onze ans, il est brutalement catapulté dans le monde du VIH lui aussi le jour où un préservatif craque. A cette époque, ma charge virale n’est toujours pas indétectable. Quand ma virémie le devient quelques années plus tard, on décide de mettre un enfant en route. Je peux enfin avoir un rapport non protégé. C’est la première fois que le virus n’a plus le contrôle sur ma vie. Cela me fait un bien fou. La grossesse se passe bien. Je peux allaiter quelque temps. C’est le dernier interdit symbolique qui tombe. Quand, deux ans plus tard, en pleine pandémie, on reçoit les résultats négatifs de notre bébé, on sabre le champagne : avoir un enfant en pleine santé est une belle revanche sur la vie. La morale, c’est qu’être indétectable offre une grande liberté et ça enlève un poids.»

Tommy, 30 ans, danseur professionnel entre la Suisse romande et Barcelone (Espagne)

«Quand j’apprends ma séropositivité, à l’été 2022, j’ai des images de la fin des années 1980 en tête, ces corps fébriles et frêles qu’on a beaucoup vus dans des séries ou des films comme 120 Battements par minute. Je commence à avoir peur d’être le malade de la famille, d’autant qu’en Suisse, la santé coûte très cher. S’ensuit un été de dépression totale, avec des envies suicidaires, bien que j’aie le soutien de ma famille proche. Je reçois par ailleurs ce diagnostic en pleine épidémie de mpox, à un moment où on parle sans arrêt de contaminations entre hommes à la télé… Je ne sais pas si je dois en parler ni à qui. Je choisis tout de même de le dire à quelques amis, à Paris, qui sont très ouverts dans leur vie sexuelle, et ça me fait du bien de ne pas me sentir jugé sur mes actes. Je remonte ensuite la pente grâce à mon psychologue, homosexuel et séropositif lui aussi. J’apprends la notion de sphère privée et aussi à déculpabiliser. Mais je mets du temps à me redécouvrir sexuellement, à me réapproprier mon désir, à me dire même que j’ai le droit d’avoir du désir. Aujourd’hui, la plupart de mes amis proches sont au courant et je le vis bien, voire avec ironie, tout en évitant de romantiser la chose. Je suis juste asymptomatique d’une infection.»

(1) Les prénoms ont été modifiés.