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Libération
Reportage

«Tu essaies de dompter la montagne mais elle fait ce qu’elle veut»

Une saison en hiverdossier
Dans les Hautes-Alpes, les pisteurs préparent les déclenchements d’avalanche pour sécuriser les pistes, bravant l’hostilité et les imprévus de la neige.
Aux Orres (Hautes-Alpes). (oscity/Getty Images. iStockphoto)
publié le 21 février 2023 à 19h18

Il manquerait, selon le service des pistes, deux pisteurs à la station des Orres (Hautes-Alpes) pour effectuer correctement le travail. «Ils sont où, vous ne les avez pas retrouvés», plaisante le maire LR, Pierre Vollaire. Au total, dans cette station, ils sont vingt, dont quatre filles. La parité n’est pas encore tout à fait au rendez-vous…

Il est 8 heures 30. Petit café au poste. Le mercure affiche moins 17. Les matins où il est tombé 35 centimètres de neige, les pisteurs arrivent avec deux heures d’avance. Ils doivent effectuer le Plan d’intervention de déclenchement des avalanches. Explosifs, grenadage à la main, ils utilisent des «Catex» (câble transporteur d’explosifs) et autres «avalancheurs». Le but : provoquer une onde de choc dans le manteau neigeux pour mettre en mouvement les récentes accumulations de neige. Soit avec une charge explosive, soit avec une explosion gazeuse. «On a un gros Pida avec 65 points de tirs», explique Maxime, surnommé «Max». «Le chef des pistes se prend bien la tête chaque fois qu’il a neigé. Toutes les pentes avalancheuses sont référencées. On tient compte de l’avis des anciens. Avant, il n’y avait aucune donnée. Les avalanches étaient beaucoup plus grosses. Des buttes ont été fabriquées, comme points freineurs qui ralentissent les avalanches. Parfois, il y a des ratés de tir, la mèche n’a pas pété. Tu essaies de dompter la montagne mais elle fait ce qu’elle veut. Tu n’es jamais sûr. C’est à toi de juger le risque», explique modestement Max.

«Pas fiable à 100%»

Le maniement des explosifs est délicat. Il y a des accidents. «Tu as fait le maximum pour sécuriser la zone. Mais la technique n’est pas fiable à 100%, analyse le pisteur-secouriste. Est-ce que ça vaut le coup de se faire péter la gueule juste pour que les gens puissent skier ? Dès qu’on constate des défauts sur les appareils, on essaie de faire remonter les informations au constructeur. La philosophie générale c’est celle-ci : “Si tu es sûr de toi, tu as déjà tort.” Même si l’ancienneté et l’expérience aident. Ici, ce sont des sensations, des intuitions. Jamais des certitudes.» Il montre l’avalancheur jaune. Un matériel non sans danger. Le détonateur peut arracher une main, le corps entier peut y passer.

Parfois, les déclenchements ne marchent pas. L’autre jour sur la piste «Grande Cabane», les pisteurs ont «envoyé» une grosse déflagration. Rien n’a bougé. La plaque était pourtant bien visible. Deux jours après, ils ont mis une charge à la main. Là, c’est parti. «Si le tir rate, on est obligés de fermer la piste pendant vingt-quatre heures. Principe de précaution», détaille Max.

Minerve

La radio crépite : «Un blessé. Ce serait un choc au cou.» Plus tôt ce matin, c’était une fracture du poignet. Les pisteurs dévalent vers «un secours» sur les pistes. Un kiné de 33 ans, pantalon vert et blouson beige, s’est fait mal. «C’est la C2 ou la C3», analyse le blessé, très professionnellement. Il s’est «fait le coup du lapin» après avoir sauté une bosse. Sa compagne est à ses côtés, inquiète. Dans la radio on parle d’un «trauma rachis». Max, François, Charlie et Mathieu, les autres pisteurs, sont aux petits soins. On installe au kiné une minerve pour immobiliser son cou et le descendre sur une civière qu’on gonfle. Il grimace. On va lui faire une radio, en bas, au centre médical. Dans cette structure, le docteur qui officie n’est pas très bronzé. On dirait bien qu’il n’a pas le temps de faire beaucoup de ski.