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Climat Libé tour : tribune

Face à la crise climatique, l’art peut porter d’autres visions d’avenir

Climat Libé Tourdossier
L‘atout d’une capitale européenne de la culture, comme Bourges 2028, est qu’elle attire tous les regards, catalyse des initiatives et ouvre un espace de dialogue où repenser nos rapports au monde à l’heure du dérèglement climatique.
Au festival du Printemps de Bourges, en 2019. (Martrou T /Andia)
par Hermann Lugan, Anne Poursin, Lydie Lescarmontier et David Irle
publié le 3 avril 2025 à 10h09

Attaquer la science, casser le thermomètre et mettre le défi du siècle du changement climatique sous le tapis, promouvoir les croyances mystiques dans les capacités de la technologie à résoudre nos problèmes : telles sont quelques-unes des stratégies d’un monde dépassé pour ne pas construire la suite. Pour l’instant le pouvoir est du côté de ces dystopies, technologies et politiques zombies, mortes mais bien vivantes.

Pour renverser ce rapport de force, il est urgent de porter d’autres récits, d’autres visions d’avenir. L’art, la culture, leur capacité à modeler nos imaginaires sont des champs privilégiés à investir. Mais le mariage entre art et écologie ne va pas de soi : le geste libre et prodigue s’accorde mal a priori avec l’exigence de sobriété et de modération de la redirection écologique. Si l’engagement de nombreux acteurs est sincère et avancé, les tensions sont nombreuses et traversent le champ artistique autour des changements à opérer, de l’écoconception des œuvres aux mobilités professionnelles et à des modèles économiques moins productivistes. Les imaginaires technosolutionnistes, collapsologues et ceux plus collectifs, coopératifs et détachés du matériel coexistent chez les artistes comme chez nos contemporains en général.

Bourges 2028, capitale européenne de la culture, choisit de privilégier les gestes artistiques qui nous invitent à dessiner un avenir soutenable et désirable : Eva Jospin, Pétra Blaisse, Gilles Clément végétaliseront les gares de Bourges, Paris-Austerlitz et Blois, donnant à voir et à expérimenter puissamment les relations entre le vivant et nos infrastructures humaines.

Espace démocratique ouvert

Par souci de cohérence, Bourges 2028 définit un budget carbone à ne pas dépasser, en ligne avec la trajectoire posée par l’accord de Paris. C’est une première pour un évènement culturel de cette envergure. L’objectif fixé suppose d’innover dans la méthode pour pouvoir suivre les impacts et faire des choix écologiquement responsables. Il engage aussi un territoire dans la diversité des parties prenantes du projet : artistes, équipes de Bourges 2028, fournisseurs, restaurateurs, hôteliers, partenaires culturels, les collectivités locales en tant qu’autorités organisatrices des mobilités.

Pour tenir l’ambition, Bourges 2028 devra créer et consolider des alliances avec tous ces acteurs sans qui rien ne sera possible. L’atout d’une capitale européenne de la culture est qu’elle attire tous les regards, catalyse des attentes, des envies, des initiatives et ouvre de ce fait un espace de dialogue à l’échelle d’un territoire mobilisé pour son avenir à moyen terme. Le récit porté par Bourges 2028, les imaginaires que les artistes choisis mettront en partage doivent être le carburant de l’adaptation et de la résilience du territoire.

Car oui, la transition écologique n’est déjà plus une option mais une nécessité, qu’on casse ou pas le thermomètre. Le changement climatique, les dérèglements écologiques font sentir leurs conséquences ici et maintenant et de manière de plus en plus intense et fréquente. Le réseau Action Climat rappelait que toutes les régions de France sont d’ores et déjà touchées : dans la région Centre, c’est la sécheresse qui menace les rendements agricoles et un tiers des espèces animales, dont 50 % des batraciens. La Sologne est deux fois plus sujette au risque d’incendie que dans les années 1980. Les fondations du château de Chenonceau baignées par le Cher sont menacées par les niveaux anormalement bas de la rivière l’été.

Bourges 2028 se voudra exemplaire dans son déploiement. Mais c’est surtout le dialogue, l’espace démocratique ouvert autour de cet évènement fédérateur qu’il s’agit de saisir pour construire une projection joyeuse et ancrée dans une réalité physique qui va nous imposer des modes de vie profondément modifiés.