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Libération
TRIBUNE

Faire confiance à la jeunesse, c’est une politique culturelle

Plus de 80 000 personnes sont venues découvrir l’exposition «Banlieues chéries» au musée de la Porte Dorée, à Paris, depuis deux mois. Un succès qui incite à penser un nouvel espace d’expression à travers la culture.
La ville de Bobigny photographiée par les élèves du collège Pierre-Semard. (metropop'! et les collégien·nes)
par Constance Rivière, directrice générale du Palais de la Porte Dorée
publié le 13 juin 2025 à 11h56

Comment, à 20 ans, penser un futur plus désirable avec légèreté et joie ? Comment avoir confiance en l’avenir sans baisser les bras ? Pour sa deuxième édition, le festival Place à demain s’installe à Paris, au Palais de la Porte Dorée, le samedi 14 juin.

A l’heure où s’ouvre au Palais de la Porte Dorée, Place à demain, le forum de Libération dédié à la jeunesse ; et quelques jours après, l’annonce par la ministre de la Culture de la création de conseils de jeunes dans les établissements culturels, une conviction se renforce : reconnaître notre jeunesse comme détentrice d’une légitimité, d’une pensée, d’une force d’imagination dont notre époque a besoin, voilà peut-être le rôle le plus vital des institutions culturelles aujourd’hui.

Depuis deux mois, plus de 80 000 personnes sont venues découvrir l’exposition Banlieues chéries au Palais de la Porte Dorée. La moitié avait entre 18 et 25 ans. Seuls, en couple, entre amis, sans parents ni enseignants, ils ont franchi les portes d’un musée qu’ils ne connaissaient pas toujours, pour voir des œuvres, écouter des récits, danser dans le studio de musique, ou écrire sur le mur des «banlieues rêvées». Soyons honnêtes, même si le musée national de l’histoire de l’immigration est traditionnellement assez jeune et divers dans sa fréquentation, nous n’avons jamais observé un tel afflux de public ni un tel enthousiasme de la jeunesse. Comment l’expliquer ?

Depuis vingt ans, la même question revient dans les politiques culturelles : comment faire venir les jeunes ? La gratuité n’y suffit pas – tous les musées nationaux sont gratuits pour les moins de 26 ans, et bien d’autres pratiques musicales ou sportives attirent massivement malgré leur coût. L’accessibilité non plus – les établissements culturels sont plus accueillants qu’ils ne l’ont jamais été. Peut-être faut-il alors se poser une autre question, plus simple : de quoi parle-t-on ? Pour qui ? Et avec qui ?

Des mots d’espérance

Banlieues chéries propose un récit polyphonique qui, comme l’écrit un visiteur, «transforme le béton en poésie, l’ombre en lumière, le regard en espoir». Le pari des commissaires a été de raconter les banlieues non comme des marges, mais comme des cœurs battants, riches de cultures plurielles et d’élans collectifs. Et pour cela, de construire avec des artistes – souvent jeunes –, des collectifs, des associations, des médias, des élus locaux aussi, qui ont permis à cette exposition de se déployer en constellation sur plus de quinze villes partenaires… Sur les murs du musée, les mots laissés par les visiteurs, «liberté», «même chance», «rêver», «vivre», dessinent une cartographie sensible du désir de justice, de sécurité, d’égalité, des mots qui sont ceux de notre promesse républicaine. Ils témoignent d’une volonté de participer, de créer, de se projeter. Ce ne sont pas des mots de colère, ce sont des mots d’espérance.

A l’heure où les discours se durcissent et où les replis identitaires gagnent du terrain, nos institutions culturelles ont un rôle à jouer : celui de faire entendre d’autres récits, parfois en acceptant d’être mis au défi par ceux-là mêmes qui y trouvent un nouvel espace d’expression. Un musée d’histoire et de société est une sorte de métier à tisser, pour fixer ensemble le fil d’histoires diverses, et que chacune, chacun y trouve place et reconnaissance. Cela suppose de partager le musée, en acceptant que la posture de savoir descendant ne peut à elle seule attirer des publics éloignés des institutions, défiants et fatigués qu’on leur fasse la leçon ou qu’on leur raconte une histoire qui n’est pas la leur.

Faire confiance à la jeunesse, ce n’est pas un slogan. C’est une politique culturelle. Et c’est sans doute la plus urgente de toutes si nous voulons jouer un rôle pour préparer demain.