Informer, débattre et envisager des solutions au plus près des réalités et des enjeux. Rendez-vous le samedi 16 décembre à la Friche la Belle de Mai, à Marseille, pour la sixième et dernière étape de l’année 2023 du «Climat Libé Tour». Pour s’inscrire, c’est ici, et c’est gratuit.
Mars 1973. Kurt Riegel, astronome à l’université de Californie, signe dans la prestigieuse revue Science un article intitulé «Pollution lumineuse : l’éclairage extérieur est une menace croissante pour l’astronomie». Pollution. Le mot est lâché et la controverse enclenchée : l’éclairage artificiel, archétype du progrès s’il en est, serait donc aussi la cause de dommages ? Cinquante ans après, la chose est entendue. A tel point que la ville de Marseille, pourtant l’une des principales sources de lumière artificielle nocturne du littoral méditerranéen, ne redoute pas d’écrire sur son site web qu’elle «agit contre la pollution lumineuse».
Si la question des dommages causés par l’éclairage urbain se pose aujourd’hui différemment d’hier, c’est parce que nous avons appris que la perte de visibilité du ciel étoilé n’est qu’une facette d’un problème plus vaste qui arrime la lumière artificielle à des préoccupations moins sectorielles que la seule protection de ce patrimoine céleste. Elevée au rang de problème environnemental de portée globale et confortée dans son statut de pollution à part entière, cette lumière artificielle nocturne intéresse aujourd’hui d’autres domaines scientifiques que l’astronomie. C’est encore le site de la ville de Marseille qui nous le dit : «La nuit est essentielle à la santé […], le sur-éclairage dérègle le rythme biologique de l’homme. La nuit est essentielle aussi à la vie pour la faune et la flore, le sur-éclairage modifie la chaîne alimentaire des espèces et impacte leur reproduction.» Le constat est donc posé et la connaissance étayée par les savoirs produits par l’écologie et les sciences de la santé.
A lire aussi
Reste désormais à doter les territoires d’instruments d’action publique leur permettant de transcrire la lutte contre la pollution lumineuse dans leurs pratiques d’aménagement. Les plus chanceux, qui bénéficient encore d’une obscurité relativement bien préservée, à l’instar du Parc national des Cévennes, s’organisent pour obtenir le label «Réserve internationale de ciel étoilé» et, grâce à lui, proposent à leurs visiteurs l’expérience singulière de nature qu’est l’observation d’un ciel constellé d’étoiles. Les autres, territoires ordinaires, tentent dorénavant d’ajuster une «trame noire», versant nocturne de la politique «trame verte et bleue» visant à lutter spécifiquement contre la perte et la fragmentation des habitats sous l’effet de la lumière artificielle.
Bien que louables, ces expérimentations s’appuient trop souvent sur une modélisation du vivant aux fondements scientifiques fragiles. Surtout, elles laissent de côté des modalités d’action plus efficaces et moins dispendieuses pour les collectivités locales. Il peut s’agir, à l’échelle d’une commune, d’organiser conjointement avec les élus et habitants un temps de formation aux enjeux de préservation de l’environnement nocturne, puis de déambulation permettant de discuter in situ de situations d’éclairage problématiques.
A plus large échelle, dans le Parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises, un travail participatif autour du paysage et de l’environnement nocturnes a pu être mené. Nécessairement sensible, cette approche du nocturne par le filtre des paysages n’est d’ailleurs pas qu’affaire de lumière et d’obscurité : elle permet d’interroger aussi nos perceptions des paysages sonores et leur modification par les sons d’origine anthropique qui peuvent également constituer une véritable pollution.
Ces expériences montrent qu’il est donc possible de requestionner collectivement nos besoins de lumière artificielle à l’échelle des communes, des quartiers et à l’aune des connaissances acquises sur les effets délétères de nos dispositifs d’éclairage, sans fatalement céder aux sirènes d’un appareillage technoscientifique complexe. Ici, la pratique du terrain parle d’elle-même : dans la quasi-totalité des cas, ces méthodes simples et réplicables débouchent sur des décisions locales permettant de reconquérir une part non négligeable d’obscurité sans pour autant faire fi des besoins de lumière exprimés par les habitants. Il s’agit, en somme, de mettre en œuvre des démarches d’écologie pragmatique à l’échelle de l’espace vécu.