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Le Printemps des Humanités: tribune

Faire le deuil des lois générales

Le Printemps des Humanitésdossier
Par Pierre-Paul Zalio, président du Campus Condorcet.
La prochaine édition du Festival Printemps des Humanités entend appréhender les enjeux et réflexions autour de(s) «universel(s)». (Klaus Vedfelt/Getty Images)
par Pierre-Paul Zalio, président du Campus Condorcet
publié le 10 mars 2025 à 10h25

Savoir qui nous sommes, savoir ce à quoi nous tenons, penser les lieux et les échelles de ce qui nous rassemble… Le Campus Condorcet organise, le 20, 21 et 22 mars 2025, trois jours de débats et de rencontres sur le thème «Universel(s) ?». Un événement dont Libération est partenaire.

Dans Où atterrir ? Comment s’orienter en politique (2 017), Bruno Latour dessinait quatre orientations possibles dans un monde confronté à la finitude de notre planète singulière et prenant conscience, encore inégalement, de son épuisement. Fuite en avant dans le globalisme d’une mondialisation sans frein ; repli de chacun sur son petit territoire identitaire ; ou orientation (qu’il appelait de ses vœux) vers une écologie politique fondée sur les interdépendances de tous les êtres, humains et non-humains. En 2017, Donald Trump ne lui apparaissait encore que comme l’hypothèse d’une quatrième orientation maléfique qu’il qualifiait de hors-sol. Hors sol, en effet, le techno-mythe d’un avenir universel martien à la Musk. Pour le reste on sait depuis que c’est bien dans le sol (le sien ou celui du pays d’à côté) que cela se joue : «Drill, baby, drill !». Huit ans après la parution de ce livre, mais aussi un siècle tout juste après la naissance de Frantz Fanon, l’universalisme occidental, décrié avec raison pour s’être arrogé le droit de tout ignorer sur son passage, semble se métamorphoser sous nos yeux, chaque jour plus effarés, en un impérialisme si vulgaire qu’il prend les traits d’un provincialisme du déni. Dans ce bain quotidien de fragmentation de notre monde commun, l’universel pluriel est comme une petite lumière, un petit feu fragile qu’il faut maintenir en vie, au gré de patientes et écouteuses négociations avec toutes les parties prenantes du monde. Cela s’appelle universaliser. C’est-à-dire mettre au point, ensemble, des valeurs communes possibles, malgré tout.

Les recherches en sciences humaines et sociales, dans leur diversité, sont directement concernées par ces désirs d’universels. Connaître et comprendre le monde social, c’est user de catégories de description qui vont, par l’exercice incessant de la réflexivité et de la comparaison, tenter de généraliser leur portée, au risque d’universalisations abusives. Comme l’ont écrit Paul Veyne ou Jean-Claude Passeron, le sociologue comme l’historien ou l’anthropologue sont aux prises avec le cours historique du monde, ils doivent faire le deuil de lois générales, a fortiori universelles. Pour autant, ils peuvent examiner les conditions d’universalité des droits humains, avec Alain Supiot dans Homo juridicus, ou dessiner l’espace pluriel d’une pensée qui veut universaliser avec Souleymane Bachir Diagne. A défaut, les SHS se condamneraient aux limites de l’idiosyncrasie, de la monographie singulière, de la revendication identitaire ou du porte-parolat militant.

En 2011, «la vraie carte du monde» de Chéri Samba nous interpellait par un planisphère inversé par rapport à nos perspectives européo-centrées et d’où le peintre congolais nous regardait. Il nous invitait, pour reprendre le titre d’une belle exposition du Mucem, à «une autre histoire du monde» (Fabrice Argounès, Camille Faucourt et Pierre Singaravélou, 2 023). En 2025, le festival Printemps des Humanités au Campus Condorcet reprend ce flambeau et ouvre à tous un espace de parole avec la recherche en SHS, où chacun est invité à venir, à partager et à prendre part ; à universaliser aussi, peut-être, malgré tout.