Comment et pourquoi organiser un festival? Qui programmer? A quel point se renouveler? Faut-il mélanger les disciplines? Investir la rue ou rester sur scène? Autant de questions qui triturent les méninges des organisateurs. Qu’ils programment de la musique, du théâtre, de la photo ou des arts de la rue, neuf d’entre eux expliquent à Libération ce qui guide leur démarche artistique.
Théâtre et arts de rue
Festival des 7 Collines, à Saint-Etienne, du 22 juin au 8 juillet
Jean-Philippe Mirandon, directeur du festival
«L’édition de ce festival est le prolongement de ce qu’on fait chaque année, sur le cirque contemporain : on défriche, on essaie de trouver des productions et des créations récentes, singulières sur le plan artistique. La programmation est dense avec quelques concerts dans de grandes salles à Saint-Etienne et dans la région. Le cirque est une discipline de plus en plus repérée par le public ; son écriture s’hybride avec la danse et le théâtre. Il s’agit d’une écriture réelle, une dramaturgie pensée, pas seulement un enchaînement de numéros… Cela raconte des histoires et des choses très fortes sur le plan émotionnel que le public apprécie. Cette année on accueille, entre autres, une Indienne, Mallika Taneja avec Do you know this song, qui performe autant dans le chant, le théâtre et la danse. C’est une lutte pour l’égalité et la liberté. Elle veut faire entendre les voix oubliées des gens qui ont disparu et qui lui sont chers. Sa création est très poétique.» D.A.
La Mousson d’été, à Pont-à-Mousson (54), du 23 au 30 août
Véronique Bellegarde, metteuse en scène et directrice artistique du festival
«Cette année, on accueille des autrices et dramaturges scandinaves (Suède et Norvège) et des Pays-Bas, que l’on suit depuis trois ans. Il s’agit d’une écriture assez neuve, de dialogues minimalistes, qui laissent entendre un sous-texte métaphysique et poétique qui questionnent l’humain. Le terreau d’interprétation pour les acteurs laisse une place pour l’imaginaire assez forte, mais il y a aussi des sujets d’actualité qui questionnent le monde d’aujourd’hui. Il y aura également de jeunes Français, comme Sylvain Septours ou la comédienne Mathilde Aurier, dont le 65 rue d’Aubagne détaille la mise en espace d’un spectacle autour de l’effondrement d’un immeuble à Marseille. A noter aussi, un travail sur l’impossibilité de faire son deuil, où une mère reconstitue son fils en 3D car elle n’arrive pas à accepter sa mort. Avec Jérémie Fabre, on a, en revanche, une écriture plus loufoque… Autant de représentations avec des acteurs virtuoses, parfois assorties d’interventions musicales. Il y a trois représentations par jour, et, le soir, du cabaret, des rencontres et des conversations. Un rythme intense.» D.A.
Festival Solstice, à Antony, Châtenay-Malabry et Massy (92), du 22 au 30 juin
Delphine Lagrandeur et Marc Jeancourt, codirecteurs du théâtre L’Azimut et cofondateurs du festival
«Ce festival a débuté en 2000 autour des arts du cirque avec de petits apéros-concerts en extérieur. Depuis, on est montés en puissance. Au programme cette année, de la voltige avec Drop, de la compagnie Crazy R (photo), mais aussi du trapèze volant, du trampoline avec une dizaine de trampolinistes… Aux Etats-Unis, le jonglage est une discipline sportive à part entière et, le 28 juin, le fameux Jason Garfield sera présent, en compagnie d’une centaine de jeunes qui jongleront avec lui… On accueillera également deux spectacles de mât chinois, ces grands bâtons autour desquels les artistes évoluent avec parfois la tête en bas. Nathan Israël présentera son spectacle Gadoue, du jonglage sur une piste… recouverte d’argile ! C’est très régressif, il y a une ambiance de fête de village. Enfin, il y aura aussi de la voltige équestre ainsi que des spectacles burlesques, comme Un dîner pour 1, qui est issu d’un sketch britannique culte : une vieille dame fête son anniversaire, attend des invités qui n’arrivent jamais, et la dame est de plus en plus éméchée…» D.A.
Fest’arts, à Libourne (33), du 8 au 10 août
Tiphaine Giry, directrice artistique
«Fest’arts est un festival des arts de la rue qui se déroule dans l’espace public du centre historique de Libourne durant trois jours. On attend quelque 35 000 personnes cette année ! La bastide est piétonne toute la durée du festival. Il s’agit de déployer un propos artistique dans tous les recoins de la ville. Plus de quarante compagnies sont programmées et tout est gratuit. On aime aller jouer dans des lieux anodins, on «poétise» murs et façades au profit des spectacles… Le programme est pluridisciplinaire, avec une attention particulière aux compagnies régionales. Il y a aussi beaucoup d’humour dans les choix de spectacles avec des clins d’œil multifacettes aux sujets d’actualité. Les thématiques de cette année tournent autour de la question du genre et du bien-être qui peut être perçu comme une injonction tyrannique. Il y aura aussi un spectacle en hommage à Freddie Mercury, une équipe masculine de majorettes… On aime jouer avec les codes ! Enfin, la compagnie Générik Vapeur fête ses 40 ans et assurera la clôture du festival.» D.A.
Photographie
Visa pour l’image, à Perpignan, du 31 août au 15 septembre
Jean-François Leroy, directeur et cofondateur du festival
«On n’a pas de thème précis. On essaie de mettre en avant toute l’actualité du monde, les conflits, les sujets sociologiques, la drogue qui fait ravage aux USA, le viol comme arme de guerre en Erythrée, la plage de Venice en Californie envahie par la pauvreté…
«On est une équipe très restreinte, mais on travaille comme une rédaction depuis toujours. On a suivi les conflits en 89, la révolution roumaine, la chute du Mur en 1994, la guerre en ex-Yougoslavie… Les conflits se sont parfois déplacés mais il y en a toujours eu. Il y a trente-cinq ans, une bonne technique était nécessaire, alors que maintenant les appareils font le point et corrigent la lumière ; c’est donc difficile d’avoir une photo techniquement ratée. Je ne regrette pas l’argentique avec ses trente-six poses, même si le va-et-vient entre le viseur et l’écran est une manière de se déconcentrer sur son sujet. Visa, ce sont 25 expos, six soirées de projection, cent sujets. On couvre un éventail très large. Tout est gratuit à Visa et c’est une des forces du festival. C’est un endroit assez unique pour les photojournalistes.» D.A.
La Fabrique du regard, à Paris, du 28 mai au 2 juin
Marie Doyon, coordinatrice générale du festival
«Cette année, dans le choix de la thématique (“La représentation du corps”), il y a la volonté de décloisonner, de se faire l’écho de la parole des jeunes et de la nouvelle création. Les sujets proposés créent des formes et font bouger les lignes. Les productions photographiques s’intéressent à la manière dont la représentation des corps contribue à la fabrique d’images stéréotypées via des canons de beauté. Il s’agit d’interroger la manière dont ces archétypes fabriquent notre regard, de s’apercevoir que d’autres représentations du corps restent invisibles, et d’analyser comment des modèles se sont imposés dans notre société, afin d’apprendre à s’en émanciper… Ces travaux sont le fruit de rencontres avec des artistes (Camille Lévêque, Nina Medioni, Charles Thiefaine…) et des groupes de jeunes des quartiers populaires. Nouveauté cette année : la programmation inédite de films courts pendant toute la durée du festival.» D.A.
Arts contemporains
Le Nouveau Printemps, à Toulouse, du 30 mai au 30 juin
Clément Postec, directeur artistique
«L’art contemporain est un mot qui dit beaucoup de choses et qui n’est pas très clair. La création d’aujourd’hui n’est pas ce qu’on croit : elle est plurielle, perméable, en lien avec la ville. L’artiste complice de cette édition, le réalisateur Alain Guiraudie, adepte des télescopages narratifs et formels, a proposé de travailler dans cette tension entre promesses et craintes, bonheur et horreur, qui nous habite tous : les œuvres présentées sont imprégnées par les difficultés de l’existence, et notamment par les inquiétudes environnementales, mais aussi traversées par l’utopie, le beau, l’espoir, l’humour…. Parmi la vingtaine d’artistes invités, Jennifer Caubet propose une sculpture réalisée à partir de rampes d’escaliers, de garde-fous, de portes, récupérées dans les anciens bureaux du siège d’Airbus. Des éléments destinés à contraindre les corps, mais que la plasticienne a tournés vers le ciel, et rendus praticables au visiteur, évoquant un jeu né de la ruine.» C.G.
Musique
Les Nouvelles Traversées de Noirlac, à Bruère-Allichamps (18), du 20 juin au 7 juillet
Elisabeth Sanson et David Sanson, directrice de l’abbaye de Noirlac et programmateur musical
«Noirlac est un centre culturel qui organise des résidences et qui œuvre pour la conservation du patrimoine et la mise en valeur artistique. Etre ouvert, comme un monument, inviter des artistes en leur proposant des équipements, réaliser la programmation autour de temps forts, telles sont nos missions. Cette année, ce seront de “nouvelles” Traversées. Il y aura trois week-ends thématisés : “musique et art de la parole”, “musique et voix”, et enfin “musique et paysage sonore”. Avec, à chaque fois, des concerts, des conteurs, des poètes, des conférences sur tout ce qui est lié à la parole. A noter un “collectage” de récits sur la Seconde Guerre mondiale, par Fred Billy. Pour la programmation musicale, de la musique ancienne, médiévale, du baroque, du jazz… On jouera avec l’acoustique comme on pouvait le faire au XIIe siècle. L’abbatiale était faite pour les liturgies, le projet de Noirlac est de remettre l’écoute au cœur du quotidien.» D.A.
Danse
Extension sauvage, à Combourg et Bazouges-la-Pérouse (35), les 15 et 16 juin
Latifa Laâbissi, directrice artistique
«Une salle de théâtre est construite pour fixer le regard du spectateur sur le spectacle. Mais quand on propose une pièce en extérieur, beaucoup d’éléments nous échappent, à commencer par la bande-son : on entend les oiseaux, le vent… Cette dialectique danse-paysage, loin d’être une posture romantique ou naïve, permet un renouvellement créatif, et un autre rapport au public. Libéré de certaines conventions, il se sent autorisé à regarder ailleurs… Cette année, nous accueillons en résidence le danseur et poète d’origine haïtienne Mackenzy Bergile, pour un solo fusionnant la danse, la musique et la poésie, baptisé Autothérapie : Essai 1 à ciel ouvert. Le paysage naturel n’y est ni un décor, ni une carte postale, ni un élément anecdotique, mais un espace convoqué pour accueillir un geste d’apaisement et de guérison.» C.G.