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LibéCare. Pensez la santé demain : analyse

Fin de vie : les limites des directives anticipées

LibéCARE. Pensez la santé demaindossier
Depuis quinze ans, chacun peut indiquer s’il souhaite ou non être maintenu en vie lorsqu’il se retrouve en état végétatif. Mais dans les faits, peu y recourent.
(Fanny Michaëlis/Libération)
publié le 9 décembre 2022 à 3h57

Comment bien se soigner, bien vivre, bien vieillir ? Rendez-vous à Caen, les 9 et 10 décembre au MoHo avec le LibéCare pour débattre avec médecins, intellectuels et experts. En attendant l’événement, réalisé en partenariat avec la région Normandie, la MGEN et l’ADMD, Libération publiera dans un dossier dédié articles, tribunes et témoignages.

C’était et c’est apparemment une très bonne idée : la possibilité d’écrire des directives anticipées pour que tout un chacun, s’il le souhaite, puisse exprimer et dire sa façon de mourir quand la médecine est en jeu. Dire ainsi si l’on veut que la médecine fasse le maximum, en utilisant toutes les techniques de réanimation. Dire, à l’inverse, que «non, pas de réanimation» si l’on n’est plus conscient. Exprimer ou pas son souhait d’être maintenu en vie si l’on se retrouve dans un état végétatif chronique ? Que faire si la réanimation entraîne des risques élevés de handicap profond ? Et veut-on ou non bénéficier d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque la mort arrive ?

Voilà. Tel était le droit nouveau ouvert par le législateur lors de la première loi sur la fin de vie du 22 avril 2005, puis lors de la seconde, dite loi Claeys-Leonetti, promulguée en 2016. Ce dernier texte donnant plus même plus de force aux directives anticipées : désormais, elles n’ont plus de date de péremption et restent valides tant qu’elles ne sont pas contredites par le malade lui-même. Mais avant tout, elles deviennent contraignantes pour le médecin, qui se voit obligé de les respecter, sauf à se justifier, autant auprès des proches que de ses collègues, et à en tracer les raisons dans le dossier du patient.

«Je n’en vois pas l’intérêt»

Depuis donc plus de quinze ans que ce nouveau droit existe, il est en pratique peu utilisé. Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) a publié un sondage, en 2021, montrant que 48 % des personnes interrogées connaissent le dispositif des directives anticipées, mais seules 18 % des personnes interrogées ont rédigé les leurs. Pour autant, tous le notent, il n’est pas facile de rédiger des directives anticipées, et près de deux personnes sur trois n’ont aucune envie de les rédiger.

Bilan mitigé, au minimum. En même temps, on oublie de dire qu’écrire des directives anticipées n’est en rien une obligation, c’est un choix offert, une possibilité et non un ordre. Lors de nombreux débats tenus par le CNSPFV en 2018-2019 sur ce thème, il ressortait qu’une forte majorité de personnes ne voulaient pas figer l’avenir en écrivant des directives trop définitives. «Les gens veulent souvent laisser toutes les portes ouvertes», expliquait ainsi la docteure Véronique Fournier, qui présidait alors le CNSPFV. D’autres doutaient ouvertement de ce dispositif, en notant que, par exemple, si la personne demandait une euthanasie active, cela n’était pas suivi d’effets puisque c’était formellement interdit par la loi. Lors d’un débat à Dijon, un médecin s’interrogeait : «A quoi sert-il d’écrire des directives anticipées si elles ne servent à rien ? Moi, je veux une euthanasie active quand je l’aurai décidé, mais comme ce n’est pas légal, et comme les médecins ne le feront pas, mes directives ne seront pas appliquées.» Et d’ajouter : «Demander à quelqu’un qui va bien d’écrire des directives anticipées ? Je n’en vois pas l’intérêt : quel est le sens de demander à quelqu’un de se projeter, de se dire : “Je vais mourir. Comment je veux mourir ?” C’est un non-sens. Personne ne sait ces choses-là. On ne peut pas le faire.»

«Sauvegarde de la dignité de la personne»

Récemment, la justice a eu à trancher le cas inverse. Là, les directives anticipées de la personne concernée demandaient la poursuite de ce qui relevait d’un acharnement thérapeutique. Jugeant la situation désespérée, l’équipe médicale de l’hôpital de Valenciennes (Nord) souhaitait arrêter les soins – nutrition et respiration artificielles –, mais cette décision allait à l’encontre des intentions préalablement manifestées par le patient. Saisi, le Conseil constitutionnel avait donné raison au médecin, affirmant que la loi, qui prévoit que le médecin puisse passer outre ces directives si elles sont «inappropriées» à la situation du patient, était conforme à la «sauvegarde de la dignité de la personne» comme à la «liberté personnelle» du soignant.

Une interprétation que ne partagent pas d’autres pays. Ainsi, en Allemagne, où elles sont très répandues, les directives anticipées doivent être précises. Mais le législateur a tenu à dire que ce n’était pas parce que leur contenu pouvait être «bizarre» qu’elles ne devaient pas être suivies. Une attitude finalement tolérante vis-à-vis du mourant.