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Climat Libé Tour : interview

Flore Vasseur : «Le fait d’avoir toujours opposé les générations sur l’écologie est une erreur absolue»

Pour l’écrivaine, journaliste et cinéaste, présente au Climat Libé Tour ce samedi 19 octobre, il est urgent de se réconcilier pour relever les défis du climat.
Flore Vasseur au Mucem, samedi. (Patrick Gherdoussi/Libération)
par Mila Thiebault, à Marseille
publié le 19 octobre 2024 à 19h20

Ecrivaine, journaliste et cinéaste, Flore Vasseur porte haut les luttes de ceux qui cherchent à faire émerger le nouveau monde écologique. Dans son long-métrage documentaire Bigger Than Us (paru en 2021), elle est allée à la rencontre de sept jeunes activistes des quatre coins du monde, engagés pour les causes environnementales ou sociales. Début octobre, elle a fait paraître Et maintenant, que faisons-nous ?, aux éditions Grasset. Ce samedi 19 octobre, au Climat Libé Tour, elle a répondu à la question : «S’engager n’est-il qu’une affaire de jeunes ?», aux côtés de Salomé Saqué, journaliste, et Amine Kessaci, président de l’association Conscience. Pour apporter une réponse à la hauteur de l’urgence climatique, elle appelle à un dialogue intergénérationnel, une union des forces.

Vous vous êtes engagée pour l’écologie à la suite d’une discussion avec votre fils, inquiet pour son avenir. Quelle fracture constatez-vous entre les générations, dans la manière de penser l’écologie ?

Ce n’est évidemment pas du tout le même enjeu selon la génération. Pour la génération qui est au pouvoir, l’écologie, ce n’est qu’une mauvaise nouvelle. Parce qu’effectivement, souvent sans le savoir, ils ont contribué à la catastrophe de façon massive mais on ne leur a jamais dit que c’était un problème. Face à cela, il y a la génération de nos enfants, qui sont prisonniers entre un dogme de société qui dit «consomme sinon tu ne seras pas heureux» et «agis maintenant, ou le monde va s’effondrer». Donc l’écologie, ça ne veut pas dire la même chose selon l’âge qu’on a. Ce n’est pas le même niveau de compromission. Ce n’est pas la même émotion non plus !

Une alliance des générations pourrait-elle constituer une réponse à la hauteur de l’urgence climatique ?

Le fait d’avoir toujours opposé les générations est une erreur absolue. Ma propre génération, c’était la génération du no future. La génération de mes parents, celle de Mai 68. Etre jeune a toujours été une sorte d’étiquette, un moyen de stigmatiser pour affaiblir. Pourquoi ce n’est pas nouveau ? Parce que ça a toujours été utilisé pour nous séparer, pour nous faire oublier l’essentiel : le désir de vivre. L’essentiel, c’est qu’il y a une seule et même humanité, il y a une seule et même catastrophe qui prend des formes différentes à des degrés divers selon là où vous habitez et les moyens que vous avez. Et personne n’en fera l’économie. La vraie question, c’est celle de la dignité : quels actes posons-nous aujourd’hui, qui feront qu’à l’égard des générations qui vont venir, tu seras un bon ancêtre ? On est un épiphénomène dans une chaîne de vie qui nous dépasse totalement. Il faut voir plus grand !

Mais alors, comment on s’allie ?

En refusant les logiques de séparation. Parce qu’en fait, il faut faire, faire, essayer des trucs ensemble, se casser la gueule, réessayer, apprendre ensemble. Ce n’est pas comme si quelqu’un avait la solution. Et ça, c’est un deuil à faire ; personne n’a la solution. Mais il y a plein de gens qui tâtonnent. Derrière la question «qu’est-ce que vous faites maintenant ?», c’est «qui est-ce que vous avez envie d’être ?». Est-ce que vous avez envie d’être cette personne qui ne fait que critiquer, taper sur les générations d’au-dessus ? Ou est-ce que vous avez envie d’être celle qui propose de faire ensemble et d’apprendre notamment auprès des personnes qui ne sont jamais écoutées ? C’est à nous de ringardiser le système de compétition, de performance et d’efficacité. Et donc, de séparation.

Vous parlez beaucoup des émotions et «d’envie de vivre» pour motiver son engagement. Comment conserver cette motivation face à un système qui s’effondre ?

Ça, c’est clé car on est non seulement face à un système qui s’effondre, mais avec un système médiatique et culturel qui entretient la peur et la culture de cette séparation. Parce que c’est rentable. Quelqu’un qui a peur, consomme et obéit aux ordres. On est face à quelque chose de diabolique. J’aimerais bien vous dire qu’il y a une solution magique. Mais, en fait, on a oublié l’essentiel. On a oublié de se parler, on a oublié de s’aimer. Toutes les velléités d’engagement pour détruire, critiquer, lutter contre, c’est inévitable dans un parcours d’engagement. Mais lutter pour, c’est énergétiquement et même spirituellement complètement autre chose. Ça vous met ailleurs. Et vous devenez vraiment heureux à ce moment-là. Dans cette période d’ultra-fragmentation, partout, tout le temps, pour moi c’est un énorme soulagement et une vraie joie que de s’engager, de militer, d’espérer.