Menu
Libération
tribune

Frédéric Worms, professeur de philosophie : «Il faut élargir le vivant pour relever tous les défis»

Pour Frédéric Worms, professeur de philosophie à l’Ecole normale supérieure, il faut étendre la notion de «vivant» à tout ce qui est vital : l’amour et la justice, dont le manque peut être mortel.

(Salomé Perez/Liberation)
Par
Frédéric Worms
professeur de philosophie à l’Ecole normale supérieure
Publié le 25/09/2025 à 18h49

Discussions, projections, spectacles... Libération s’associe pour une deuxième édition de la biennale du vivant à l’Ecole des arts décoratifs-PSL, l’Ecole normale supérieure-PSL et le Muséum national d’histoire naturelle. Rendez-vous les 26 et 27 septembre à Paris.

Le titre de cette deuxième Biennale du vivant doit s’entendre comme une invitation à un vitalisme non pas diminué mais au contraire élargi et critique. Lorsqu’on dit en effet «il n’y a pas que le vivant dans la vie», ce n’est pas pour restreindre la vie, mais c’est pour montrer jusqu’où elle s’étend.

Disons tout de suite jusqu’où vont les deux extrêmes de cette extension, qu’un sens restreint du «vivant» pourrait masquer. C’est, d’un côté, jusqu’au non-vivant, la matière, l’univers entier bien sûr ! Le vivant a besoin de son milieu et celui-ci, on le sait désormais c’est la planète, le système solaire, l’univers. Mais d’un autre côté, la vie s’étend à tout ce qui est vital pour les vivants et parmi eux pour les vivants humains, et donc, disons-le tout de suite, elle va jusqu’à la justice. Car si on entend par vital un besoin ou une urgence qui pour les vivants est aussi mortelle (c’est la seule définition possible qui est au cœur du vitalisme critique) alors il faut aller jusqu’à l’amour et la justice, dont le manque peut être mortel en effet ! Que la justice soit vitale, on le voit au fait qu’on peut mourir du sentiment d’injustice, mais aussi au fait que celui-ci déchaîne en nous la passion la plus vive, au point qu’on l’appelle aussi l’emportement. C’est la colère, qui est la preuve passionnelle et en acte que la justice est vitale, qui peut être un moteur si puissant, mais aussi être manipulée au point de devenir mortelle à son tour !

Il n’y a pas que la mort dans la vie

Quoi qu’il en soit, de ce côté-là aussi, la vie va au-delà du «vivant» si on prend celui-ci en un sens étroit, ce qu’il ne faut d’ailleurs pas faire. Car si l’on définit le vital par ce qui s’oppose à la mort, alors il ne faut pas parler de «la vie» en général, qui ne meurt pas (même si aujourd’hui la vie concrète est menacée sur la Terre) mais des vivants toujours singuliers. Et, de toute façon, il faut envisager toutes les sortes de «mort». Il ne faut pas voir seulement chaque vivant luttant contre «sa» mort, ce qui conduit à la guerre de tous contre tous. Il faut voir au contraire les vivants et notamment les humains, lutter contre tous les dangers, y compris aujourd’hui, avec la science, ceux qui menacent la planète, et, avec la justice, contre la guerre et son cortège de mort. Oui en effet, il n’y a pas que «le vivant» dans la vie.

Il y a tous les vivants luttant contre tous les dangers, et parmi eux les humains qui accroissent ces dangers mais aussi les ressources pour s’y opposer. Parmi ces ressources, il y a donc toutes les sciences, et c’est pourquoi aussi tous les départements de l’Ecole normale supérieure, en sciences comme en lettres et avec les arts, participent avec les autres partenaires à cette Biennale du vivant ! Il faut aujourd’hui défendre le savoir lui-même et les institutions dont c’est la mission, puisque au lieu d’être reconnus pour protéger les vivants, ils sont aujourd’hui attaqués eux aussi.

Une Biennale du vivant, dans des institutions scientifiques, pluridisciplinaires, républicaines, démocratiques, c’est donc ce double défi. Mais ce sera aussi une fête. Car il n’y a pas que la mort dans la vie, au contraire la lutte contre la mort, sauf dans les cas extrêmes, n’est jamais seulement survie. Elle est aussi invention, création, rencontre et surprise. La Biennale du vivant annonce la Fête de la science, qui sera aussi un grand événement à l’ENS. Elles nous donneront des forces pour affronter tous les défis de tous les vivants, dans le moment présent.