Le think tank libéral que j’ai fondé, Génération libre, plaide depuis plus de cinq ans pour l’instauration d’un revenu universel, sous une forme proche de l’impôt négatif. Les libertariens acharnés me considèrent donc comme un traître vendu au socialisme, tandis que la gauche me soupçonne d’utiliser ce cheval de Troie pour détruire l’Etat-providence. La vérité est plus triviale. Le revenu universel a toujours fait partie du corpus intellectuel du libéralisme classique, de John Stuart Mill qui proposa dans ses Principes d’économie politique «un certain minimum établi pour la subsistance de chaque membre de la communauté, capable ou non de travailler», à Friedrich Hayek qui estimait nécessaire «un système d’aides publiques procurant un minimum vital à tous ceux qui en ont besoin». N’est-il pas naturel, quand on défend la liberté, de s’assurer que chacun ait les moyens de décider de sa vie en s’affranchissant de la contrainte économique ? Parmi les différents systèmes redistributifs possibles, le revenu universel n’offre-t-il pas la solution la plus respectueuse de l’individu, en lui épargnant l’enfer administratif des conditionnalités, et la moins paternaliste, en le laissant pleinement responsable de l’allocation de ses ressources ?
De ce point de vue, tout l’intérêt du revenu de base est de ne pas s’inscrire dans un choix de société uniforme, mais de rendre possible une infinité de choix individuels. Assuré de pouvoir satisfaire ses besoins fondamentaux, chacun pourra définir sa conception de la vie bonne – entrepreneuriale et capitaliste pour les uns, associative et solidaire pour les autres, ermite et solitaire pour d’autres encore. Philippe van Parijs, passionnant philosophe «real-libertarien», a défendu contre Rawls l’idée que l’on puisse légitimement vivre de son revenu de base en marge de la société, par exemple en faisant du surf à Malibu. Aucune contrepartie n’est exigée : un surfeur heureux est une victoire pour nous tous. En France aujourd’hui, le revenu de base permettrait à la fois aux plus démunis de retrouver une dignité sans devoir se justifier perpétuellement auprès des CAF ; aux autoentrepreneurs de développer sereinement leur activité ; aux néoruraux de réinvestir les campagnes avec des projets à la rentabilité incertaine… De cette multiplicité de modes de vie naîtra sans doute une nouvelle société, sans que l’on puisse anticiper sa forme : le revenu de base favorise l’ordre spontané et bat en brèche les utopies collectives.
Cette vision n’est pas sans conséquences politiques. Il me semble contradictoire de défendre un «projet de société» autour du revenu de base. Celui-ci doit au contraire être envisagé et promu comme une politique publique autonome, sans préjuger du reste des choix démocratiques. A ce titre, il pourrait et devrait faire l’objet d’un consensus transpartisan, comme l’a montré récemment le vote quasi unanime par l’Assemblée nationale d’une résolution en faveur du «socle citoyen», soutenue du PS au centre droit. Le revenu de base constitue une mesure universelle pour une société diverse.