Menu
Libération
Le temps d'un Grand Bivouac: tribune

Grand Bivouac : y croire encore. Toujours.

Le Grand Bivouac, festival du film-documentaire et du livre d'Albertvilledossier
Petit journal de bord d’un festival qui ne se passe jamais comme prévu.
La 22e édition du Grand Bivouac, festival du cinéma documentaire et du livre d'Albertville, a cette année pour thème «Y croire encore». (Nicolas Guyonnet/Hans Lucas via AFP)
par Jean-Sébastien Esnault, délégué général et Guy Chaumereuil, fondateur du Grand Bivouac
publié le 30 octobre 2023 à 9h22
(mis à jour le 30 octobre 2023 à 14h49)

Dimanche 22 octobre, 19 heures. Clap de fin sur la 22e édition du Grand Bivouac, festival du cinéma documentaire et du livre (dont Libération est partenaire), comme chaque année thématisé autour d’une idée. «Y croire encore» était donc le phare choisi en 2023 et la balise qui ont guidé pas moins de 29 336 spectateurs dans les salles obscures d’Albertville (1).

A regarder dans le rétroviseur, en janvier, il fallait être au choix soit complètement out, soit sacrément givré pour oser choisir un tel thème au regard de l’actualité et de son cortège de drames… Mais peu importe. Comme à son habitude, le Grand Bivouac a toujours aimé mettre les mains dans le cambouis du monde avec un cap : donner à voir et à entendre des témoins qui se retroussent les manches pour construire un monde vivable pour tous. Retour sur une semaine pas comme les autres.

Givrés ?

7 octobre, 10 heures. Quand vous plantez au milieu de l’espace public une installation signée Plantu et Reza (notamment en faveur de la paix et du dialogue en Israël et en Palestine), vous vous dites que vous êtes définitivement marteau et à contre-courant. Alors que les roquettes s’abattent au Proche-Orient et que l’horreur surgit à la face de la planète, comment oser placarder la composition du duo d’artistes autour de trois mômes – un juif, un musulman, un chrétien – tous trois réunis dans une accolade fraternelle sur l’esplanade des mosquées ? Comment oser y croire encore, tandis que vous vous sentez comme piégés par votre propre thème et vos propres intentions éditoriales.

16 octobre, 20 h 30. Le festival commence et les spectateurs s’affairent dans les premières salles ouvertes ; le Grand Bivouac commence, comme à son habitude, au petit trot. Mais quelques heures après son démarrage, les premiers sourires des spectateurs ne tardent pas arriver, des lueurs d’espoir, des hommes et des femmes requinqués après les premières projections. La programmation montre à voir des hommes et des femmes souvent embourbés dans un destin chaotique mais qui se lèvent et avancent ; une énergie reçue cinq sur cinq par nos festivaliers. Le pari «d’y croire encore» semble déjà en bonne voie.

18 octobre, minuit 30. La décision vient «de très haut». Mesures de sécurité renforcées : pas de séances au lycée en présence d’élèves. Plus de 3 000 réservations en jeu. La nuit a des allures de cauchemar et le réveil n’a pas besoin de sonner. Mais après Vigipirate, les blocs anti voiture-bélier, la fouille visuelle de sacs, puis le Covid, les masques et les sièges espacés, on en a connu et on en verra d’autres. Bref, dix-huit cafés plus tard, cinquante coups de fil et un sous-préfet au petit-déjeuner, tout à la fois rigoureux et bienveillant, les rendez-vous du jeudi et vendredi sont repoussés jusqu’au départ en vacances le soir après les cours. Y croire encore ! Toujours. Ne jamais – jamais – baisser les bras. La solidarité de tous les acteurs du territoire, du staff et l’immense cohorte de bénévoles s’est mise en marche. Show will go on.

19 octobre, 10 heures. Machine lancée à plein régime. Les treize salles et sites sont ouverts. 150 propositions à déguster jusqu’à dimanche soir. La matinée s’ouvre avec Noor, de Stéphanie Lebrun et Shaza Maddad : au cœur de la cathédrale d’Alep, Maya et l’unique chorale lyrique de Syrie répètent autour de l’orgue dont la guerre a cassé les dents. Y croire encore. Comme Plantu et Reza dialoguant en direct avec Amani, caricaturiste d’Idlib. Comme la jeune Malgache Marcelia racontant au public comment le rugby l’a sauvée, elle et ses copines. Comme les jeunes de la Plaine Saint-Denis, larmes à l’œil pour leur ultime représentation théâtrale. Comme nos dizaines d’invités – femmes et hommes passionnés, grands reporters, écrivains et réalisateurs, philosophes, scientifiques, explorateurs, artistes… partageant chaleureusement avec le public une envie et une conviction : y croire encore. Toujours.

(1) Hors fréquentation villages, installations et expositions.