Le restaurant est bondé. Ils ont refusé du monde. Ce midi de fin janvier, on compte au moins soixante personnes attablées. Sur les murs, un dessin du film Ratatouille, des maximes sur des affiches «Et si votre regard sur moi, c’était l’amour», «Enfants porteurs de handicap, monde riche de belles surprises…», avec des photographies des gens qui travaillent ici. Une petite pancarte apprend que le comédien et humoriste Paul Mirabel est parrain de la Belle Etincelle (son petit frère Valentin y est chef barman).
Sur le menu (couleur pour les plats, numéros pour les boissons) : tartare de crevettes et avocat, suprême de pintade, crème brûlée à la vanille et Mâcon-Azé vieilli en fût de chêne. Au son, une playlist avec Alain Bashung. La clientèle est jeune. Le chef, Jorge Fernandez, explique que ses équipiers détiennent un sens de l’humour aiguisé, n’hésitant pas à lui faire des blagues en éteignant le four avant le service. Il leur accorde sa confiance. En trente-huit ans de service, il en a connu, des gens qui n’acceptaient pas ses ordres. «Ici, ils considèrent que c’est «leur restaurant» et qu’ils y font «de belles choses», avec attention et concentration.»
Jorge est leur «pédagogue», même si, parfois, ils arrivent sans aucun savoir… Il dispose d’une «pâtissière extraordinaire», d’une autre qui envoie cinquante couverts «comme qui rigole». Pour le reste, question cuisine, il travaille uniquement des produits frais qui viennent de circuits courts, et ne réalise que des «cuissons minute».
Jorge a formé quatorze apprentis qui ont eu des diplômes avec mention, et «ceux qui ont raté, ce n’est pas grave, on recommence». Il avoue qu’il a progressé sur la pédagogie, qu’il avait «peur du handicap», mais que son regard a changé. Il loue leurs qualités, «jamais un verre cassé». Il reste malgré tout très exigeant, souligne que la marge de progression de ses troupes est «énorme». Il leur donne des responsabilités en cuisine, où il y a plus de technique qu’en salle.
Voilà Pierrot, 19 ans, qui évoque le téléfilm qui a fait connaître le restaurant, la Belle Etincelle, produit par son père, le producteur Fabrice Goldstein, et réalisé par Bernard Mimran avec Bernard Campan et Mélanie Doutey. Résultat, selon Pierrot : «C’est tout le temps complet.» Jenna, autre employée de l’Etincelle, 35 ans, trouve le rythme du restaurant «actif et élevé», «comme dans ma tête», complète-t-elle. Elle vient de la Martinique, est là depuis trois ans.
La Belle Etincelle a ouvert ses portes en septembre 2020 et constitue un «tremplin extraordinaire» selon Fabrice Goldstein, président de l’association du même nom. Il s’agit, selon lui, de faire entrer dans le monde ordinaire des personnes handicapées. Douze salariés sont en CDI, dont huit porteurs de handicap. Autisme, trisomie 21, déficience mentale, trouble auditif… «Tous les restaurants de Paris sont en tension, en déficit d’employés. On reçoit cinquante candidatures par semaine, à 90% de handicapés. On a touché un petit bout de vérité. On a un vivier de talent et de l’énergie disponibles. Les métiers de routine, ça use. Quand c’est appliqué auprès des personnes handicapées, c’est pour eux une zone de confort, cela les sécurise», analyse Fabrice Goldstein. «Quand un équipier accueille un client, il présente la maison, ce qui permet au client de réaliser où il est. Cela crée un lien. L’expérience culinaire est top et il y a un côté humain qui ne laisse pas indifférent.»
Le dernier trimestre 2023 l’a vu connaître une grosse période de doute. «On doit avoir une masse salariale double de celle de la concurrence, parce que 60% du temps d’encadrement est dédié à la formation, souligne Fabrice Goldstein. On n’a pas les reins assez solides. On a formé 52 stagiaires, et on les a accompagnés dans leur premier pas dans l’emploi. On est de fait un petit centre d’apprentissage, avec une partie non rémunératrice, donc le déficit d’exploitation est récurrent. Mais cela fait partie de l’ADN de la maison.»
Résultat, la Belle Etincelle engage une levée de fonds chaque année pour pouvoir continuer le projet. «Notre restaurant doit montrer que l’inclusion, c’est carrément possible. Il y a une dynamique un engagement, de la générosité et un professionnalisme insoupçonnés.»