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Place à demain : initiative

Handicap : à Lille, un système de freinage pousse à la roue des fauteuils

Place à Demaindossier
Grand prix du concours Lépine, Colin Gallois, avec sa start-up Eppur, a créé des roues avec frein intégré, inspiré des bicyclettes hollandaises. Une prouesse technique et une «avancée majeure» pour les personnes à mobilité réduite.
La start-up lilloise Eppur commercialise les roues Dreeft avec frein intégré. (Dreeft)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 19 janvier 2024 à 8h38
Les 26 et 27 janvier, Libération coconstruit Place à demain avec les moins de 30 ans. Un événement dédié à l’écoute de la jeunesse et ouvert aux débats entre toutes les générations. Une soirée et une journée de rencontres gratuites, au Théâtre du Nord et en partenariat avec la Métropole européenne de Lille, le Théâtre du Nord, la CCI Grand Lille Hauts-de-France, l’université de Lille, la Voix du Nord et BFM Grand Lille. Entrée libre sur inscription.

Comment ça freine, un fauteuil roulant ? Surtout quand il dévale une pente… Dans 99 % des cas, c’est à la force de la main : elle serre la main courante contre la roue, au risque d’avoir des brûlures de frottement. C’est la question bête comme chou que s’est posée Colin Gallois, 31 ans, l’un des cofondateurs de la start-up lilloise Eppur, qui commercialise les roues Dreeft, avec frein intégré (vendues 2 000 euros tout de même). Un système récompensé par le grand prix du concours Lépine 2023.

Découvert lors d’un séjour Erasmus

Colin Gallois a assisté, à 23 ans, à la course folle d’un fauteuil en roue libre, avec son occupant paniqué, qui n’a évité le crash qu’in extremis, juste devant son école d’ingénieurs. «Je me suis dit, mais c’est trop bizarre, ses gestes. Pourquoi il n’utilise pas ses freins ?» se souvient-il. En fait, il n’y en a pas. Avec un ami, Lancelot Durand, aujourd’hui associé, il n’a pas lâché ce casse-tête séduisant : arracher les fauteuils roulants du niveau zéro du freinage, équivalent des pieds qui traînent au sol pour arrêter un vélo. Même embauché en CDI chez Decathlon, il y passait ses week-ends. Inspiration de base, la bicyclette hollandaise et son freinage à rétropédalage, une mâchoire qui bloque le mécanisme de la roue, plus efficace qu’un patin qui serre le pneu. Le must par jour de pluie, découvert lors d’un séjour Erasmus aux Pays-Bas.

Donc, avec Dreeft, on freine en tirant la main courante vers l’arrière. Colin Gallois montre le dispositif, assis dans un fauteuil roulant. «Si on ne passe pas du temps en fauteuil, on ne peut pas comprendre», note-t-il, expert dans la virevolte. La main courante, ce cercle de métal normalement fixé à la jante, est essentielle : elle sert à avancer, reculer et diriger le fauteuil roulant. Problème : sur un vélo hollandais, on ne peut pas pédaler à l’envers, marche arrière impossible, bloquée par le système de freinage. Mais reculer, c’est un geste essentiel pour toute personne en fauteuil roulant, pour sortir de table, pour pivoter, bien prendre un obstacle… Colin Gallois et son camarade ont trouvé la solution : désolidariser la main courante de la jante, pour freiner par rétroaction, mais sans empêcher la marche arrière. Une gageure technique, d’où le nom de la société, Eppur, inspirée de la célèbre phrase de Galilée : «Et pourtant, elle tourne.» Elle a été créée en février 2020, avec une levée de fonds de 1,2 million d’euros en 2022.

«La paume de mes mains suffit»

Mathéo Briantais, 22 ans, tétraplégique à la suite d’un accident de plongeon, a rencontré l’équipe au stade du prototype en bois. Depuis, il a adopté Dreeft. «Je n’ai aucune mobilité dans les doigts, uniquement au niveau des poignets. Avant, quand j’étais en descente, je devais absolument demander à quelqu’un de me retenir. Maintenant, la paume de mes mains suffit, car la force de freinage est amplifiée. Pour moi, le bénéfice est énorme.» Oksana, 27 ans, tétraplégique elle aussi, confirme : «Je freine désormais du bout des doigts, par une pression faible. C’est une avancée majeure, c’est limite bizarre que personne n’y a pensé avant.» Seul bémol pour les deux, le jeu de 5 cm entre la jante et la main courante, dont il faut prendre l’habitude. «J’ai mis un mois à m’y faire, note Oksana. Mais aujourd’hui, je ne pourrai pas revenir à des roues normales, impossible.»