De nos jours, dans une station de ski en hiver. Tout le monde attend la neige qui tarde à tomber… Voilà le thème, ô combien d’actualité, choisi par Basile Mulciba pour son premier roman, Hors saison. Il met en scène Yann, un jeune étudiant en médecine, et autour de lui, tous les saisonniers qui attendent. «Cette station […] a été bâtie sur quasiment rien, il y a une cinquantaine d’années. Il y avait un petit village […] et cet hôtel, un des plus anciens de la région et aussi un des plus hauts […]. Avant, tout était entouré de forêts, des sapins surtout, mais il y avait aussi des hêtres, quelques érables. Les hivers étaient rudes, la route qui nous relie à la vallée était coupée de longues semaines à cause de la neige.»
Dans cet «arrière-pays des vacances d’hiver», il ne se passe pas grand-chose. L’occasion pour l’auteur d’installer une ambiance, de décrire ces hommes et femmes qui dépendent des visiteurs venus pour faire leurs traces et qui, eux aussi, tardent à arriver. «Tous les jours, bien que de nombreux gérants aient préféré attendre que la montagne soit tapissée de blanc pour embaucher leurs travailleurs, de nouveaux saisonniers arrivaient en station. Leurs apparitions étaient éparses et imprévues […]. Certains loueurs de matériel relevaient le rideau, dépoussiéraient leur devanture, lavaient leurs vitrines, installaient en rayon leurs nouvelles collections… On vérifiait les enneigeurs et toute la machinerie qui transforme l’eau en neige lorsqu’elle ne tombe pas. On forçait le destin.» Sous la plume de Basile, la montagne est tragique. «Déchirée, des craquelures, des fentes et des plis, des énormes rochers sur le point de dévaler. Le relief s’animait et composait un tableau qui se révélait au fur et à mesure plus rude et plus risqué qu’au premier regard. Le soleil déclinant jetait une lumière rasante sur les alpages et le ciel n’avait jamais paru aussi immense, aussi proche.»
Nous aussi, en lisant ce livre, on finit par souhaiter qu’elle arrive. «Tu sais pourquoi tant de personnes attendent que la neige tombe ? Il y a des gens qui te diront qu’ils détestent la neige. D’autres qu’ils l’attendent pour qu’enfin les touristes et les vacanciers arrivent, qu’on démarre les remontées mécaniques, que les terrasses se remplissent… Mais je pense que les gens attendent aussi la neige tout simplement pour le plaisir de la voir tomber. Les saisons ont quelque chose de plus fort que nous […]. Finalement, nous sommes tous là à attendre que la neige, la vraie, tombe.»
Mais, «le lendemain, il ne neigea pas […]. Les semaines suivantes, il ne neigea pas non plus». Et le roman devient un conte philosophique qui interroge l’avenir de nos montagnes. Des saisonniers décampent. «L’ennui s’accentua, si c’était encore possible. Les journées s’accumulaient, toutes aussi creuses, mais le désœuvrement de ceux qui étaient restés était gonflé d’attente et d’une curieuse paralysie. Les gens sortaient moins malgré le beau temps et on n’osait plus rien entreprendre, ni repeindre les devantures des quelques établissements qui ouvraient encore, ni tenter de négocier avec ses assureurs où réfléchir à une manière d’attirer les clients malgré l’absence de neige, ni partir pour un temps voir si l’herbe était aussi verte ailleurs. On attendait.»
Avec une économie de moyens et un talent pour décrire cette population qu’on voit rarement prise pour sujet dans les romans – qui s’intéresse vraiment aux saisonniers ? – Basile Mulciba frappe ici un joli coup dans la montagne.