Cet article est publié dans le cadre du Climat Libé Tour. Les 24 et 25 septembre, Libération vous invite à Grenoble sur le thème de «la science qui résiste» pour deux journées de débats, échanges, projections et ateliers à la rencontre de ceux qui se mobilisent.
Comment imaginer que tout le monde puisse «maîtriser» la science ? Trop vaste, trop complexe, trop éloignée : même les chercheurs, une fois sortis de leur domaine d’expertise, se découvrent vite ignorants. Tenter de communiquer la science semble donc une mission impossible. Heureusement, ce constat pessimiste se fonde sur une vision erronée des bienfaits de la culture scientifique : le véritable enjeu de celle-ci n’est pas de tout connaître mais de savoir décrypter.
Dans un monde saturé d’informations, où les faits sont parfois déformés à des fins personnelles ou mercantiles, et où la suspicion systématique remplace le doute légitime, il est essentiel de donner à chacun des outils critiques, fiables et indépendants pour exercer son jugement. La science, avant d’être un catalogue de résultats, est un processus vivant. Elle avance par essais, doutes, erreurs, débats. Derrière la théorie de la relativité d’Einstein, le télescope James Webb ou la découverte de la pénicilline, il y a une aventure humaine et collective. Or, trop souvent, nous ne montrons que la vitrine : la dernière prouesse technique, la découverte spectaculaire, l’annonce frappante. En appliquant aux sciences les codes de la publicité ou du «buzz», nous réduisons le public au rôle de spectateur passif, conforté dans l’idée que la science est une affaire d’experts, intimidante et inaccessible.
Bâtir une société de citoyens éclairés
Mais il n’est pas nécessaire de comprendre la climatologie ou la biologie moléculaire dans tous leurs détails pour juger de leur solidité. Vérifier une affirmation ou une intuition, accepter de réviser son opinion lorsque les faits la contredisent, voilà le véritable pouvoir de la science. La fameuse démarche scientifique – cette manière d’interroger, de tester, de confronter ses idées au réel – est l’une des plus grandes inventions de l’humanité. Par chance, celle-ci est à la portée de tous. Il faut pour cela encourager un apprentissage actif. Expérimenter soi-même, tâtonner, comprendre par l’effort : c’est ainsi que naît la confiance dans les résultats scientifiques. On découvre alors que l’incertitude n’est pas un signe de faiblesse, mais la marque d’une rigueur intellectuelle. On accepte plus sereinement les prévisions et les révolutions qu’elles annoncent.
L’école a ici une responsabilité majeure. Les sciences n’y sont pas seulement une accumulation de savoirs : elles initient nos enfants à la démarche scientifique, une compétence aussi fondamentale que la lecture ou l’écriture. Mais l’effort doit dépasser les bancs scolaires. La société tout entière est concernée : parents, médias, responsables politiques. Car aujourd’hui, la diffusion scientifique manque cruellement de reconnaissance et de moyens. Les médias cèdent parfois au sensationnalisme, le monde associatif s’épuise faute de soutien, les musées scientifiques peinent à être considérés à leur juste valeur (en témoignent les doutes concernant le futur du Palais de la découverte, à Paris). L’Etat, lui, sous-investit.
Il est temps d’assumer une politique culturelle ambitieuse pour la science. Comme la littérature ou la musique, elle doit être vécue dans les musées, les écoles, les universités ouvertes au public. Elle doit faire partie intégrante de notre vie collective. Donner à chacun les moyens de s’approprier la démarche scientifique, c’est bâtir une société de citoyens éclairés, capables de débattre et de choisir en conscience. A l’inverse, laisser la science hors de portée, c’est nourrir le doute systématique et le relativisme. Apprivoiser la science n’est pas un luxe, mais une nécessité.