Comment réconcilier métropoles et campagnes, périphéries et centres-villes, écologie et habitat ? Plongée, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu) dans les initiatives qui améliorent les politiques urbaines.
Le centre-ville de Veynes, cinquième ville en population du département des Hautes-Alpes, est un trésor méconnu. C’est une vieille ville médiévale de caractère, blottie dans la pente entre les contreforts du massif du Dévoluy et la vallée du petit Buëch, où court la ligne de chemin de fer Marseille-Briançon. Un quadrillage de rues étroites et pittoresques abrite un habitat ultra-dense, principalement de hautes et étroites maisons pluricentenaires collées les unes aux autres : 850 logements, 40 % du total communal.
Autrefois bouillonnant de vie, ce centre historique populaire s’est lentement endormi au fil du XXe siècle, comme en témoignent de nombreuses échoppes désaffectées et une bonne dose de volets clos. Près de la moitié des unités d’habitation de la commune déclarées vacantes est concentrée sur ce petit secteur : quelque 70 logements sont inoccupés ou abandonnés au cœur de la vieille ville. Si ce phénomène de vacance est en recul ces dernières années, relève Françoise Bellanger, élue à la culture et au patrimoine de la ville, «il reste de nombreux logements qui ne demandent qu’à être occupés».
«Mes visiteurs sont souvent surpris»
La «revitalisation» du centre ancien, «levier essentiel pour l’attractivité du pays et le développement du lien social», est une priorité pour la municipalité, précise la maire adjointe. Cette volonté se heurte aux préjugés qui pèsent sur ces logements souvent considérés a priori comme austères, étroits, peu lumineux et accessibles, dénués d’espaces extérieurs… La réalité s’avère la plupart du temps bien différente. Rue Berthelot, Maé, retraitée du secteur social, ouvre sa porte pour faire visiter son incroyable maison de ville. Vieille «de 2 à 300 ans», mais totalement rénovée sur ses cinq niveaux, elle est chaleureuse, lumineuse et spacieuse. «Mes visiteurs sont souvent surpris, sourit l’ex-Grenobloise. Ici, on se sent bien.»
Un puits de lumière ouvert au centre du toit baigne de soleil les trois niveaux supérieurs, grâce à des mezzanines. Les pièces traversantes sont superbes, murs de pierre apparentes ou enduits de terre, poutres et planchers de bois, escaliers ouverts. Sur la façade à l’opposé de la rue, les baies vitrées donnent plein sud sur la montagne en face et les balcons en véranda assurent un chauffage efficace et écologique. Une petite terrasse est ouverte en bord de toit au cinquième et on découvre encore en pied de maison un petit jardin, une cave immense, un garage…
Cette maison de rêve fait partie de la vingtaine de logements de la vieille ville que la municipalité de Veynes a visitée cette année, en compagnie de Marion Serres, architecte et chercheuse en urbanisme, autrice de l’ouvrage le Patrimoine vacant dans les petites villes (éditions Popsu et Autrement) et cocréatrice de Tiers Lab Territoires, un atelier marseillais d’architecture et de recherche. Cette étude a été réalisée dans le cadre du programme «Petites villes de demain», porté par la ville de Veynes avec le soutien de l’Etat et de diverses institutions. L’idée était d’aller à la rencontre des habitants pour découvrir leurs façons d’habiter et d’aménager ces vieilles pierres… et surtout les mettre en lumière, pour donner à d’autres l’envie de venir habiter là !
«L’enjeu, dans un contexte local de crise du logement, c’est de retrouver l’attractivité du vieux centre en démontrant sa désirabilité et sa dimension abordable», explique Marion Serre. Cette désirabilité ne se décrète pas : c’est par les habitants, par leurs «compétences et savoir-faire» et par leurs usages de la ville qu’elle se démontre, martèle la chercheuse. Elle a pu le vérifier de nouveau à Veynes : «Habiter en cœur de ville ancien, ce n’est pas forcément subir un habitat trop sombre, trop étroit ou incommode ; rénover de l’ancien, ce n’est pas forcément plus cher ! Ces habitants se sont investis pour transformer leur logement, le rendre désirable, en développant une ingéniosité parfois technique, parfois architecturale, et de nouvelles manières d’habiter leur logement et l’espace public», résume-t-elle.
Repenser son logement
Françoise Bellanger a été marquée par leur satisfaction «de vivre dans une maison avec une âme», par «leur fierté de valoriser un patrimoine, un héritage», tout en profitant d’une «vie de quartier, des voisins, de l’entraide…» C’est le cas de Sylvain, 59 ans, qui n’en finit pas de se réjouir d’avoir cédé, il y a six ans, sa grande maison dans un village voisin pour acheter dans le vieux Veynes, à bas prix. Cette maison de ville très étroite, cinq niveaux empilés, lui «correspond parfaitement», assure-t-il. Prof d’EPS, pourtant «peu bricoleur», il a repensé son logement, cassant des cloisons, posant des parois vitrées – «un super travail sur la lumière», souligne Marion Serres – et faisant refaire l’électricité et les sanitaires par des pros. «Ça a été super simple et rapide», assure Sylvain, et «très peu cher, 15 000 euros à peine».
Plus encore que ses vieux murs épais adorés – «au frais l’été, facile à chauffer l’hiver et une super isolation phonique, on ne se gêne jamais avec les voisins !» c’est surtout son nouveau mode de vie qui l’enchante.
Vincent Sindirian, chargé de mission Petites villes de demain à Veynes, se passionne lui aussi pour ce vieux centre qui a connu le déclassement et le dénigrement depuis la deuxième moitié du XXe siècle, à tort, analyse-t-il : «Cette ville où l’on peut tout faire à pied, c’est la “ville du quart d’heure” de Carlos Moreno !» Dans ce département aux villes et bourgs souvent occupés par des résidences secondaires et du logement touristique, où les travailleurs et les jeunes couples peinent à se loger, Vincent Sindirian l’affirme : «Ici on peut acheter, bricoler, créer son lieu de vie au cœur d’une ville où il y a du travail, une histoire et de la vie.»
A rebours de la consommation d’espaces naturels et de matières premières pour construire sans relâche de nouvelles maisons, le retour aux vieilles villes, défendu par des élus, architectes et urbanistes comme à Veynes, prend aujourd’hui tout son sens. Les centres anciens ne seraient-ils pas, à l’heure de l’indispensable transition écologique et face à nos profondes crises sociétales, d’une folle modernité ?