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«Il faut associer les citoyens à la prise de décision»

Comment renouveler notre pacte social ?dossier
Par Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, membre du Conseil économique social et environnemental.
(Maria Petrishina/Getty Images/iStockphoto)
par Claire Thoury, présidente du Mouvement associatif, membre du Conseil économique social et environnemental
publié le 16 avril 2025 à 2h40

Face à la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Etat, des institutions ou de la politique, quel rôle les collectivités locales peuvent-elles jouer ? Tel était l’objet d’un colloque organisé à Rouen par le Centre national de la fonction publique territoriale. Un événement dont Libération est partenaire.

On vit un moment incertain, difficile et sans doute plein de paradoxes. Le rapport annuel sur l’état de la France 2024 présenté par le Conseil économique social et environnemental révèle que 76% des personnes interrogées estiment que les femmes et les hommes politiques sont déconnectés des réalités vécues par les citoyennes et les citoyens et 24% déclarent ne pas se sentir faire partie de la société. Les Français n’ont globalement pas confiance dans nos représentants politiques et ont le sentiment de ne pas être bien représentés dans leur vécu. En revanche, malgré cette distance et ces chiffres qui doivent nous interpeller, la France a un tissu associatif exceptionnel qui fait la cohésion sociale de notre pays : 1,4 million de salariés, 20 millions de bénévoles, 70 000 associations qui se créent chaque année. Des Françaises et des Français qui s’engagent, qui donnent de leur temps, qui portent des projets et défendent des causes.

La question qui se pose à nous est donc celle de savoir comment on peut observer dans le même temps un tel niveau d’engagement, dans le monde associatif notamment, mais aussi un tel désarroi voire un tel désespoir ? Et surtout comment faire en sorte que cela aille mieux ? De façon non exhaustive, trois points semblent intéressants à explorer.

Tout d’abord, et c’est ce que nous montre le rapport annuel sur l’état de la France, il nous faut affronter les inégalités de façon frontale et exigeante car ces inégalités ont des conséquences très fortes sur la confiance en nos institutions et sur la démocratie. Ces inégalités sont multiples : financières, entre les femmes et les hommes, entre les territoires, entre les générations, etc. Certaines populations sont particulièrement touchées : les familles monoparentales, les ouvriers, les habitants des départements et régions d’outre-mer, les Français qui n’ont pas le bac, etc. L’absence de perspectives, le sentiment d’être mal représenté, les difficultés d’accès à certains services publics, renforcent la défiance et contribuent à affaiblir la cohésion nationale.

Sortir de l’urgence

Ensuite, une meilleure cohésion sociale impose de ne pas faire fi des différences et des singularités, à bien nommer les choses et les vécus. Le France s’est construit sur le modèle de l’individu abstrait mais cet individu abstrait est forcément insatisfaisant car il n’est jamais ce que les uns et les autres vivent au quotidien. L’abstraction et les généralités posent une grille de lecture du monde nécessairement excluante qui a des effets sur le sentiment d’appartenance : lorsqu’on affirme que le pouvoir d’achat des Français s’améliore, c’est vrai en tendance mais ça ne l’est pas pour une partie significative de la population. Quand c’est notre cas, c’est insupportable car cela donne le sentiment que ce que l’on vit, nos difficultés, nos défis, ne sont jamais pris en compte dans l’élaboration des décisions. C’est ce que l’on a montré dans le Rapport annuel sur l’Etat de la France 2024, cette nécessité d’engager une bataille de la proximité. Et lorsqu’on demande aux répondants comment améliorer la démocratie, ils répondent à 24% qu’il faut une meilleure écoute des citoyens et de leur préoccupation.

Enfin, il devient urgent de sortir de l’urgence.On a impérativement besoin de construire un projet de société enthousiasmant qui associe largement les citoyens, de s’inscrire dans du temps long, de comprendre les décisions qui sont prises et d’anticiper leurs conséquences.

Le monde est trop complexe pour apporter des réponses simples voire simplistes aux défis qui nous traversent. N’en déplaise à certains, personne n’est assez fort, assez intelligent, assez omniscient pour régler les enjeux contemporains tout seul. C’est en associant largement les citoyens à la prise de décision, en travaillant avec les corps intermédiaires et en assumant une forme d’humilité que l’on pourra relever ces défis.