Menu
Libération
Les journées du vivant et de la Terre: rencontre

«Il faut des bactéries à la terre pour être vivante»

Les journées du vivant et de la Terre à Rouendossier
Le biologiste et professeur à la Sorbonne Gilles Bœuf rappelle le rôle essentiel du microbiote dans l’environnement, qu’il s’agisse de nos corps ou des sols.
Le cratère «Morning Glory», à Yellowstone. Les eaux claires du centre sont très chaudes et, près des berges, les eaux plus fraîches abritent des colonies de bactéries. ( Jean-Philippe Delobelle/Biosphoto via AFP)
publié le 4 octobre 2023 à 12h20
Conférences et débats, rencontres avec des biologistes, anthropologues, agriculteurs, écrivains… Du 13 au 15 octobre à Rouen, la fédération Biogée organise les journées «Naturellement !». Thématique de cette deuxième édition : les microbiotes, indispensables microbes pour la santé et l’environnement.

Biologiste, ancien président du Museum national d’histoire naturelle et professeur à l’université de la Sorbonne, Gilles Bœuf (1) raconte l’apparition de la vie sur Terre à partir d’une goutte d’eau de mer, d’une poignée de terre ou d’un morceau d’utérus. Un fascinant voyage au pays des microbes.

Les microbes dans l’environnement, qu’est-ce que cela vous inspire ?

Il ne faut pas l’oublier : l’homme est constitué d’eau liquide, de sels et de bactéries. Lorsqu’une femme est fécondée, cela a lieu en profondeur. Le tout petit spermatozoïde masculin pénètre une énorme cellule femelle, l’ovocyte, et il n’y a alors pas tellement de relations avec le monde microbien. Le fœtus est protégé, dans un univers clos, quasiment sans bactéries, durant neuf mois. C’est au moment de la naissance que tout change. Le bébé est expulsé via le vagin et des milliers de micro-organismes ne vont pas le contaminer mais, bien au contraire, l’ensemencer à partir du corps de la maman. Au bout de trois ans, le bébé aura constitué sa propre flore microbienne, au moins un millier d’espèces composant le microbiote humain. C’est pour cela que lors d’une césarienne, les médecins prélèvent un certain nombre de bactéries vaginales de la mère afin de les apporter au nouveau-né qui n’a pas pu en bénéficier.

Tout est histoire de microbes, à vous écouter.

Oui, nous sommes pleins de bactéries, nos cheveux, notre peau, et tout ce monde-là vit en harmonie. En fait, il est très important, ce microbiote dans et sur nous ! Tout ce que l’on mange est bourré de microbes. Notre humeur, tomber amoureux ou être agressif, est liée à des relations entre micro-organismes, et tout ce délicat équilibre hormonal. Ces dernières années, nous nous rendons compte de la richesse du microbiote au niveau médical. Des chercheurs ont par exemple mis en évidence que l’on ne retrouvait pas les mêmes bactéries chez les centenaires. La question est maintenant de savoir s’ils ont atteint cet âge parce qu’ils avaient ces bactéries en eux ou bien s’ils les ont acquises avec l’âge. Au contraire, nous nous apercevons qu’en l’absence ou la trop grande abondance de certaines bactéries, de graves maladies se développent, hypertension, diabète de type 2, obésité…

En tant que biologiste, vous avez beaucoup étudié la terre, qui elle aussi a besoin de ses microbes.

Tout à fait, il lui faut des bactéries pour être vivante, des microchampignons, des vers de terre, des acariens, des nématodes, des collemboles, ces minuscules insectes. Au même titre que pour l’humain, nous nous rendons compte qu’il faut ramener cette vie microbienne dans les sols, détruits en France par l’agriculture productiviste, le labourage en profondeur et les produits issus de la chimie de synthèse. Certes, le système agricole est aujourd’hui plus performant en rendement, la production a été multipliée par dix, mais nous sommes arrivés en limite du système, on ne peut pas continuer comme cela, à faire du profit en exploitant une terre empoisonnée qui s’épuise. Un sol bien vivant, c’est 3,5 tonnes de microchampignons et 2,5 tonnes de bactéries à l’hectare. Et ces micro-organismes retiennent l’eau, aujourd’hui de plus en plus rare. Il faut revenir à ça pour un système plus harmonieux et durable.

(1) A retrouver à Rouen dimanche 15 octobre à 14 heures lors du débat « Les microbes de l’environnement ».