«Libération», partenaire du nouveau cycle de conférences organisé par la Cité des sciences et de l’industrie, proposera régulièrement articles, interviews ou tribunes sur les sujets abordés. Temps d’échange autour de l’exposition GyriTypes avec Sylvie Captain-Sass, mardi 12 mars de 17 heures à 18 heures.
Nous formons près de 60 000 pensées par jour : ça fait un paquet ! La plupart d’entre elles sont négatives : ça fait un paquet de pensées négatives. Heureusement, il est possible de tirer profit de cette activité cérébrale pour favoriser la créativité et l’inventivité. Sylvie Captain-Sass, graphiste, docteure en arts plastiques qui a centré ses travaux sur les recherches en neurosciences, proposera dans une conférence des méthodes pour stimuler cette faculté créatrice du cerveau face aux défis du quotidien, tirées de son livre Le cerveau ou la fabrique du bonheur (Dangles, 2 022).
Pour commencer : qu’est-ce que le cerveau considère comme un «défi du quotidien» ?
Un défi, c’est une chose qui nous apparaît et à laquelle on ne peut donner de réponse immédiate via un biais cognitif. Cet obstacle va nous forcer à sortir de nos routines, et de nos actions automatiques, et va permettre l’activation d’une posture créative.
Le cerveau est donc capable de trouver des solutions créatives. Comment ça marche ?
Si l’on suit la distinction faite par Daniel Kahneman dans Système 1 /Système 2 : Les deux vitesses de la pensée (Flammarion, 2 012), le cerveau fonctionne globalement selon deux états : un mode mental automatique, qui repose plus sur les émotions ; et un mode mental préfrontal, plus rationnel, qui étudie tout ce qui a un rapport avec l’inconnu, et qui est en mesure de proposer des idées créatives. Le défi, c’est donc ce qui mobilise ce second mode.
Jacques Fradin, de son côté, a identifié six types de pensée automatique, et les moyens d’en sortir pour se placer dans une attitude créative : face à la routine, chercher la curiosité ; plutôt que la rigidité, la résistance au changement, s’efforcer de rester souple ; face à la simplification et à la généralisation, accepter la nuance ; abandonner les certitudes pour la relativité ; préférer à l’empirisme le temps de la réflexion ; enfin, ne pas se satisfaire de l’image sociale et risquer de faire confiance à l’opinion personnelle.
Comment activer cette posture créative ?
Il faut comprendre une chose : le mode mental préfrontal est lent. Pour l’activer, il faut donc prendre le temps. Ensuite, il faut avoir confiance dans le fait que c’est l’erreur qui nous permet d’apprendre. Et enfin, le cerveau est très compulsif : il est traversé par plus de 60 000 pensées par jour, et la plupart de ces pensées sont négatives. Donc, si l’on souhaite être créatif, il faut trouver un moyen de faire silence parmi toutes ces pensées.
Pour quitter ses routines et stimuler ses capacités d’émerveillement, on peut par exemple se forcer à regarder le monde qui nous entoure, en mettant de côté tout ce que l’on croit connaître. Prendre le temps, installer le doute, interroger ses propres réponses, ce sont des moyens de sortir du mode automatique, qui nous demande de la routine. Et on découvre vite qu’être dans une posture créative, c’est fatigant !
Une chose importante : quand quelqu’un comprend que son cerveau est plastique, il comprend que son cerveau peut s’adapter au changement, en s’ouvrant à l’inconnu. Il y a ici une chose à laquelle faire attention : comme le souligne la philosophe Catherine Malabou, il ne s’agit pas d’être «flexible», c’est-à-dire de s’adapter sans intervention, qui est une manière de se soumettre à l’autre. Il y a une différence profonde entre être flexible et le fait de «s’adapter», ce qui sous-entend que l’on fait une démarche personnelle d’engagement créatif.
Quels sont vos conseils pour entrer en «posture créative» ?
Il y a trois éléments à prendre en compte. D’abord, je recommande de cultiver la gratitude - prendre le temps de savourer les petits moments du quotidien, un sourire dans la rue, etc. Ou ne pas glisser sur la vie en trouvant que tout est normal. Ensuite, faire de la pleine présence de temps en temps : boire le café du matin en étant totalement disponible à ses saveurs, et le déguster. Enfin, écrire : déposer sur un cahier, le soir ou le matin, les choses qui nous inquiètent ou qui nous ravissent. Tout ceci permet de sortir le cerveau de ses habitudes et de sa compulsivité.
Par ailleurs, je demande à mes élèves de couper leur téléphone pour se concentrer pleinement sur notre échange. Les réseaux sociaux, de par leur structure addictive, nous plongent dans un mode automatique permanent et réduisent notre capacité d’accueil de l’altérité, de dialogue, d’ouverture au monde. Sinon, on reste dans une temporalité qui n’éclaire pas ces processus cérébraux disponibles - et c’est bien dommage !