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Il m’a dit d’aller siffler là-haut sur la montagne...

Une saison à la montagnedossier
Avec « Le chant des pentes », Simon Parcot nous livre une nouvelle fable poétique et philosophique. A retrouver en décembre au festival international du film de montagne d’Autrans.
Des bergers escortent leurs moutons sur une colline à Prévenchères, en Lozère, le 27 août 2020. (Pascal Guyot/AFP)
publié le 26 septembre 2024 à 4h03

«Dans un petit village montagnard, la jeune Gayané souffre de mutisme comme la plupart des enfants. A la suite d’un rêve, elle décide de prendre la route en direction de l’alpage du Grand Lac que les villageois croient hanté par les siffleurs, êtres mi-humains, mi-vautours». Nous voici dans l’univers de Simon Parcot, «philosophe des sentiers» et écrivain qui vit lui-même perché dans une vallée reculée.

Le chant des pentes, son dernier roman, retrace l’existence d’un peuple méconnu, qui communique dans une économie de mots réduite à néant, puisque les sifflets ont remplacé les paroles. «On sifflait aussi pour indiquer aux autres qu’on descendait au village et qu’on pouvait leur ramener du pain, du vin et du tabac dans nos besaces. D’autres fois, on demandait aux enfants de garder les troupeaux. Nos sifflets étaient si puissants qu’on pouvait même interpeller un habitant du hameau dans sa maison ! Le son traversait les murs, les appelés sortaient, formant ainsi de petits points noirs au milieu de l’alpage qui nous répondait en sifflant ! Et lors des journées de grande brume, quand les nuages réussissaient à vaincre le soleil et à monter jusqu’à nos estives, quand les loups rôdaient autour de nos caisses, on employait le sifflet pour nous rassurer les uns les autres.»

Ce qu’il y a de bien chez Simon Parcot, c’est qu’on est avec lui dans la montagne, et qu’on s’aperçoit au fil des pages qu’il la connaît, la raconte sans forfanterie, avec la modestie de ceux qui savent combien elle est plus forte que les hommes ; qui passent et qui défilent, tandis qu’elle reste, depuis des millénaires. Que le soleil a beau faire fondre la neige, la neige reviendra, et le soleil aussi ; et que ce cycle sans fin n’aura pour témoin que les hommes, qui n’en peuvent mais, devant la force immense de cette nature sauvage.

Des hommes, comme Maniolos le berger, qui vit aussi dans sa montagne. «Il ne faut pas croire ; berger, c’est un fichu métier ! Tu crois pouvoir passer ton temps à chanter des histoires au soleil dans l’ennui délicieux d’une journée d’été, ton temps, tu le passes dans la matière, à panser des plaies, retirer des asticots, curer des sabots, remuer des entrailles putréfiées ; tes jours sont longs et tes nuits hachées, alors quand vient la descente, tu es content de retrouver ton lit, tes nuits, tes amis ! […] Lorsqu’on arrivait en bas, au village, il y avait toujours des bêtes qui manquaient. La plupart revenaient vers nous les jours suivants, mais d’autres s’ensauvageaient, remontaient à l’alpage ou choisissaient de rester dans la forêt où elles faisaient des proies faciles pour les loups et les ombres aux crocs blancs.»

Et puis, comme il réfléchit au sens de la vie -c’est un peu son métier, tout de même —, Simon Parcot nous livre quelques mots, qui peuvent servir aux urbains qui auraient oublié l’essentiel. «En nous, le désert a tout brûlé. Les veaux d’or, les faux désirs, les doutes, les enluminures, les scories, les échardes. Nous sommes devenus des vides. Nous sommes devenus des riens, des néants qui grimpent. Mais notre cœur n’est pas aussi sec que l’air que nous respirons […] Vidés de nos encombrements, nous nous sommes éclipsés à nous-mêmes, afin de devenir de pures ouvertures vers l’autre». Simon, en hébreu, signifie «Dieu a entendu». Nous, plus modestement, mais avec une certaine avidité, on a, de ce livre, tout lu.

Le chant des pentes, de Simon Parcot, édition le mot et le reste. 176 pp., 18 euros.