Discussions, projections, spectacles… Libération s’associe pour une deuxième édition de la biennale du vivant à l’Ecole des arts décoratifs-PSL, l’Ecole normale supérieure-PSL et le Muséum national d’histoire naturelle. Rendez-vous les 26 et 27 septembre à Paris.
La prise de conscience grandissante du désastre écologique en cours a fait émerger un nouveau concept qui focalise aujourd’hui l’attention : le vivant. Si un tel essor est légitime et nécessaire, il génère un délaissé, le non-vivant, qui est pourtant de la plus haute importance. La frontière entre les deux domaines n’a du reste rien de stable et naturel. Soumise aux controverses scientifiques, elle fait aussi l’objet d’un questionnement plus large. La philosophe australienne Elizabeth Povinelli y voit ainsi un enjeu politique, lié à ce qu’elle appelle le «géontopouvoir», qu’elle décèle notamment dans l’opération qui consiste à assimiler le désert à un territoire sans vie afin de rendre possible l’extraction minière.
Hétérogène et vaste, le non-vivant n’a rien de désertique, si l’on entend par là un territoire vide ou dépourvu de vie. On y retrouve non seulement les choses et les milieux naturels, comme les pierres, les montagnes et les déserts, mais aussi tous les artefacts et systèmes produits par l’homme – objets, infrastructures ou chaînes logistiques. Il suffit de soulever une pierre, creuser dans la terre ou manger un yaourt pour comprendre que le non-vivant peut grouiller de vie. A l’inverse, la production industrielle, l’obsolescence programmée et la culture du jetable génèrent une multitude de déchets et de matières nuisibles pour la vie.
On comprend alors pourquoi le non-vivant requiert la plus grande attention : loin d’être séparé du vivant, il communique avec lui de toute part. Une formule résume bien l’attitude à adopter à son égard si l’on veut maintenir des conditions décentes de vie sur terre, c’est celle de «soin des choses», qui donne son titre à un ouvrage récent de Jérôme Denis et David Pontille précisément consacré à la maintenance. L’intérêt d’une telle approche est de nous situer à un endroit stratégique, à la fois éthique et politique, qui réunit le non-vivant et le vivant au sein d’un même ensemble, digne de sollicitude et d’attention. Etendant au-delà du vivant la notion anglo-saxonne de care, elle active l’imaginaire vitaliste que nous mobilisons spontanément quand nous parlons de durée de vie des objets ou d’analyse de cycle de vie. Son autre intérêt est d’engager une pensée de la relation qui fait droit à la vulnérabilité de toute chose. Issu du latin vulnerabilis, qui signifie à la fois «qui peut être blessé» et «qui blesse», ce dernier mot doit ici s’entendre dans son double sens originaire, comme une invitation à prendre soin de tout : des êtres et des objets fragiles, mais aussi des sols pollués et des déchets radioactifs.
Il en va en somme du non-vivant comme du vivant : l’enjeu est de savoir l’habiter. Comme nous le rappelle Merleau-Ponty en ouverture de l’Œil et l’Esprit, la science, qui «manipule les choses et renonce à les habiter», ne nous sera pas ici d’une grande aide. Nous pouvons en revanche compter sur d’autres acteurs, parmi lesquels les artistes et les créateurs, qui savent donner vie, dignité et intensité de présence au non-vivant.
A côté de la poésie, qui se demande avec Lamartine si les «objets inanimés» ont «une âme» et qui adopte avec Ponge «le parti pris des choses», à côté des arts plastiques qui, du ready-made duchampien à l’Arte povera italien ou au Mono-ha japonais, confèrent aux objets et aux choses l’aura des œuvres, à côté du design et des métiers d’art, le dessin animé joue aussi un rôle majeur. De Fantasia à Toy Story en passant par Pinocchio, il ne cesse de donner vie aux objets. Du fait de sa vocation à animer les formes et à toucher un large et jeune public, il se pourrait même qu’il montre la voie d’un animisme occidental au service de l’art d’habiter les choses. Le shérif Woody nous le rappelle à la fin de Toy Story : «A partir de maintenant, tu devras prendre soin de tes jouets, parce que sinon, nous le saurons. Nous les jouets, nous voyons tout.»