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Au cœur de la Bioéthique

Impressions sur la santé mentale

Au Cœur de la Bioéthiquedossier
Sur ces sujets complexes, les simplifications extrêmes et le pessimisme ambiant sont loin d’être constructifs. Par Eric Favereau.
Dans le jardin de l'hôpital psychiatrique EPS de Ville-Evrard, également dénommé «Clinique du Bois de Bondy», le 7 mai 2020. (Loïc Venance/AFP)
publié le 11 janvier 2025 à 4h04

S’informer, échanger, bousculer les certitudes sur des questions qui dérangent… Telle est l’ambition du Forum européen de bioéthique de Strasbourg. Au programme de cette quinzième édition, du 29 janvier au 1er février 2025 : la santé mentale.

En ce début 2005, il y a un air du temps déroutant. On n’en finit pas de disserter sur notre société qui va mal, sur la charge mentale qui serait trop lourde, nous rendant tous malades ; et comme preuve de ce dérèglement mental on assiste à une psychiatrie qui s’effondrerait, prenant de plus en plus mal en charge les lourdes pathologies mentales.

«On me demande comment vont nos ados ?», nous disait récemment le professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre. «Ils vont mal, c’est vrai, et en même temps, c’est plus complexe que cette simple affirmation». Il a raison. Les données sont en effet déroutantes ; contrairement à ce que l’on pourrait penser, par exemple, le suicide en France a considérablement baissé dans les trente dernières années, et cela dans toutes les tranches d’âge. Il y a une seule exception : les jeunes femmes à partir de 2017 chez lesquelles le taux de suicide remonte légèrement. Mais globalement, il y avait 800 morts par suicide chez les adolescents et jeunes adultes dans les années 1980, il y en a 250 maintenant. «Par contre, on ne peut pas nier que le volume global de souffrances psychiques exprimées est, lui, bien supérieur», poursuit Bruno Falissard.

Que déduire de ces données contradictoires ? On mélange souvent tout, santé mentale et psychiatrie, bobos de l’âme et grandes béances psychiques. Peut-être d’abord rappeler une évidence. «D’abord, se dire qu’il est logique, dans notre époque difficile, entre le covid, les inquiétudes écologiques et les conflits, que les gens aillent mal. Ils ont été ainsi avec le covid, attaqués par quelque chose d’invisible et qui peut tous nous toucher. Cela fait partie des grands stress collectifs», analyse Bruno Falissard. Et il poursuit : «Dans ce contexte, si vous avez des facteurs de vulnérabilité (biologiques, sociaux), il y a un risque de transformer ce mal-être en une décompensation psychiatrique. Voilà. Tout cela est connu et logique. Et oui, cela peut être grave».

En même temps, comme ne pas noter que les jeunes mais aussi toute la société ont résisté ? «On le voit, on l’a vu, toutes ces situations ont suscité des réactions de résilience. Il y a des gens qui vont se construire dans ces moments-là. J’ai des exemples avec des enfants ou des adolescents. J’ai vu des jeunes, en vidéoconférence, me disant qu’ils avaient découvert qu’ils pouvaient apprendre tout seul, d’autres me disant que leur père était à la maison et qu’ils pouvaient jouer avec lui, qu’ils expérimentaient une vie de famille. J’ai vu des ados agités se calmant chez eux. D’autres prenant soin de leurs parents. Cela existe aussi». Et de conclure ainsi : «Au lieu de clamer que tout est dur, de rajouter de l’anxiété à l’anxiété, nous, professionnels spécialisés dans le soin de la souffrance psychique, devrions être soutenants, réaffirmer que l’on va s’en sortir, dire que ce que nous faisons, c’est bien. Il y a là l’occasion de repenser notre société en profondeur, et elle en a bien besoin. Or, on n’a entendu que l’inverse dans les médias : on a insisté sur les choses négatives qui, en plus, étaient souvent fausses».

Voilà, tout n’est pas toujours si sombre. Mais les personnes concernées, que disent-elles ? Peu de choses. Certains se replient, se taisent. La maladie mentale, c’est souvent cela : être seul, trop seul dans sa tête. La souffrance psychique isole, stigmatise. La personne se retrouve coupée de plus en plus, lassant les proches, fatiguant les amis, isolé par un malaise qui devient une maladie du lien.

Que faire alors ? Bizarrement, dans les services psychiatriques, se sont développés à partir des années 90 des chambres d’isolement. Avant, le fait d’isoler un malade était exceptionnel, maintenant la pratique est devenue courante. Les chambres d’isolement sont partout. Soigner le mal par le mal. Isoler et parfois même attachés… Pour guérir ? Quelle drôle d’idée… Ecoutons ce témoignage d’un membre de l’association Solidarités usagers psy. «Mon expérience de l’hôpital psychiatrique c’est l’ennui. On est seul. Quand on voit le psychiatre deux fois dans la semaine, c’est déjà beau. Quand on a une activité par jour, c’est carrément le luxe. Le gros de l’activité à l’hôpital ? C’est regarder la télé et les clips idiots qui passent en boucle. La seule exception à la règle de l’ennui, c’est quand, à force de trop souffrir on tombe (littéralement) en isolement. Ce que les psys appellent la chambre de “soins intensifs”.»

Bien évidemment, il y a d’autres pratiques, d’autres prises en charge. Mais parfois on se demande qui est le plus malade. Celui qui l’est ou bien le système qui le soigne ?