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Libération
Reportage

«Inclusion numérique», démarches en ligne, repérage des fake news : dans la métropole lilloise, des centres sociaux contre l’illectronisme

Comment renouveler notre pacte social ?dossier
Dépassés et discriminés par la généralisation des technologies dans toutes les parcelles de leur vie, jeunes et vieux sont formés à la maîtrise de leur smartphone et de leur ordinateur dans des «centres sociaux connectés» dans le nord de la France.
(Sole Otero/Liberation)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 16 avril 2025 à 8h19

Face à la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Etat, des institutions ou de la politique, quel rôle peuvent jouer les collectivités locales ? Tel était l’objet d’un colloque organisé à Rouen par le Centre national de la fonction publique territoriale. Un événement dont Libération est partenaire.

Un vendredi matin, fin février, au centre social intercommunal la Maison du chemin rouge, à Faches-Thumesnil (Nord), dans la banlieue de Lille, l’atelier numérique brasse large. Parmi la dizaine de participants, Ghislaine et Gérard, 75 ans et 77 ans, un couple d’enseignants retraités, Malika, 62 ans, travailleuse sociale, ou Armelle, du même âge, femme de ménage à temps partiel, sont des habitués et grignotent des petits gâteaux. Ils ont en commun la volonté de mieux maîtriser ces nouveaux outils technologiques qui ont envahi leurs vies.

Malika va bientôt devoir préparer son dossier de départ en retraite en ligne : «J’angoisse à l’avance», dit-elle. Armelle reçoit désormais toutes ses fiches de paie sous format électronique. Ghislaine et Gérard n’ont pas toujours les bons réflexes, dans leurs démarches du quotidien – le stockage de leurs photos ou leur banque sur le Web. «C’est sur ce sujet qu’on s’enguirlande le plus, parce qu’on n’y arrive pas, que c’est juste introuvable, raconte Gérard. Bien comprendre un ordinateur quand on n’est pas né avec, ce n’est pas évident.» Leur atelier est organisé dans le cadre du projet des «centres sociaux connectés», pour qu’ils deviennent des tiers-lieux numériques de proximité.

«Ils sont zozos avec leurs empreintes digitales»

Au programme de cette session, le scan de documents avec son téléphone portable. «C’est plus simple qu’avec un ordinateur, pour envoyer par exemple un papier à l’assurance-maladie. On prend en photo, et on envoie», explique Rémi Doresse, 29 ans, chargé de transition numérique. Il vérifie, l’air de rien : «Et sinon, ça vous parle, le mot scanner ?» Pour la plupart, oui, ils connaissent, à force de se coltiner l’administration électronique de la start-up nation.

Première étape, télécharger l’application. Premier problème, les fenêtres intempestives qu’on ferme sans y penser quand on a l’habitude… Mais quand on ne l’a pas, ou qu’on clique au mauvais endroit, les ennuis commencent : «Ah, punaise ! Ils sont zozos avec leurs empreintes digitales, et ils demandent de mettre une carte de crédit. Mais je ne veux pas payer moi !» s’exclame Ghislaine. «Vous pouvez ignorer, normalement», signale Rémi Doresse, déjà penché sur le smartphone d’un autre membre. «C’est quasiment de la formation individuelle, selon les différents types de téléphone», remarque-t-il.

Enfin, l’appli de scan est installée, et le groupe commence à prendre des photos et envoyer un mail. Armelle a acheté un nouvel ordinateur, l’ancien ne démarre plus comme avant. Peut-être que ce n’est rien, ça vaut la peine d’aller au prochain «repair café». Cloé Moulinier, 28 ans, coordinatrice du projet dans la métropole lilloise, soupire : «Les gens rachètent un ordinateur, avec des mensualités et en se serrant la ceinture, parce qu’ils pensent que l’ancien ne marche plus. Une fois, c’était juste un problème de luminosité, et la personne a cru que l’écran était cassé.»

Plus de 150 centres sociaux volontaires

Dans le Nord-Pas-de-Calais, les centres sociaux se sont organisés en réseau pour répondre aux besoins numériques croissant des habitants des quartiers populaires, où ils sont installés. «L’inclusion numérique n’est qu’une petite partie de nos missions, précise Cloé Moulinier. Nous travaillons avec des publics jeunes et adultes, sur l’apprentissage du codage, le repérage des fake news, l’intelligence artificielle, le harcèlement en ligne, mais aussi sur la gestion de la place des écrans à la maison.» L’expérimentation a commencé en 2017 à Roubaix, Tourcoing ou dans le quartier de Lille-Sud. Ensuite, la fédération des centres sociaux des Hauts-de-France a repris le projet et l’a étendu, avec des financements de l’Union européenne, de la CAF et du conseil régional. 41 chargés de transition numérique travaillent dans plus de 150 centres sociaux volontaires. «L’enjeu était de créer des outils pour les capitaliser dans le réseau, et d’entraîner de nouveaux territoires dans la dynamique», explique Mélanie Mahieu-Bernard, cheffe du projet. L’essaimage a été fructueux.

Le programme prévoit aussi une formation des personnels à la fois générale et sur des compétences pointues, comme le développement d’une webradio ou d’un labo low tech, associant numérique et écologie. «L’idée, c’est que chaque acteur d’un centre social prenne en compte le numérique, que ce soit un axe transversal», précise Mélanie Mahieu-Bernard. Une inscription en ligne à la crèche du centre social ? L’occasion de proposer un passage par l’atelier numérique, une formation qui ne dit pas son nom, sans jugement ni enjeu. Le projet des centres sociaux connectés est financé jusqu’au 31 mai 2025, avec l’espoir d’être prolongé. Cloé Moulinier le rappelle : «Il ne faut pas occulter la base : il y a encore des gens qui n’ont jamais allumé un ordinateur.»