Comment faire rimer éducation et innovation ? A l’occasion des 20 ans du Café pédagogique, Libération organise avec des enseignants et nos invités une journée de débats et d’échanges, le 25 novembre à Paris. En attendant ce forum, tribunes et rencontres avec quelques professeurs.
Les écrits des pédagogues de l’après Première Guerre mondiale, issus de la galaxie de l’éducation nouvelle, valorisaient l’innovation. Célestin Freinet par exemple vantait sa technique d’imprimerie à l’école comme l’innovation ayant permis de bouleverser les méthodes d’apprentissage de la lecture, surtout pour les enfants pauvres, et de préparer ainsi l’avènement d’un monde nouveau. L’innovation désignait alors le pas de côté volontaire par rapport aux instructions officielles. Elle rendait la hiérarchie sourcilleuse vis-à-vis des innovateurs qui prenaient le risque de se voir admonestés ou réprimés. Près d’un siècle plus tard, le mot a changé de couleur. L’innovation est surtout encouragée par l’institution, et ce sont les enseignants les moins «innovants» qui risquent leur avancement de carrière. Comment expliquer ce retournement ?
A la fin des années 1970, les politiques éducatives, soucieuses de répondre à la massification scolaire, ont intégré un grand nombre de principes issus de l’éducation nouvelle : les pédagogies actives, de projets, les établissements expérimentaux, etc. Guidée par la certitude que l’innovation pédagogique pouvait répondre au défi de la démocratisation scolaire, l’institution travaillait main dans la main avec des instituts de recherche entièrement dévolus à la pédagogie. Puis la néolibéralisation et les impératifs austéritaires sont venus dévoyer le sens d’un mot au potentiel pourtant émancipateur. Les réformateurs se sont aperçus d’une possible compatibilité entre la logique entrepreneuriale et la posture innovante. Tandis que l’innovation pédagogique n’avait servi que des expériences coopératives, la voilà dès lors comme une stratégie de distinction. Le maître innovant devient celui qui fournit des efforts plus importants et mérite à ce titre d’être encouragé (et bientôt davantage rémunéré) par l’institution. D’une posture résistante, l’innovation est devenue un gage d’adhésion et de loyauté aux demandes institutionnelles.
Les «écoles du futur» d’Emmanuel Macron
On a alors vu fleurir les expressions comme «laboratoire d’innovations» qui ont ringardisé la routine du métier et les enseignants peu soucieux d’entrer dans cette course à la reconnaissance institutionnelle. Désormais, des établissements doivent faire valoir une gamme de projets innovants pour espérer toucher plus de moyens que leurs voisins. A Marseille, les «écoles du futur» d’Emmanuel Macron sont des petits laboratoires qui bénéficieront de financements laissant les écoles non élues dans un état de délabrement indigne de l’école publique. Car, derrière ce projet se profile une idée de l’école qui sape les fondements déjà bien fragilisés du service public d’éducation, à commencer par l’égalité de l’accès au savoir mais aussi la dénaturation d’un métier pour lequel l’injonction à l’innovation devient un outil de mise au pas.
Aussi serait-il intéressant de se réapproprier l’idée mais d’en changer les termes. Laissons-leur l’innovation et reprenons la main sur l’expérimentation.