«j’ai énormément travaillé sur ce livre (illustré les aquarelles de Paul de Chatelperron, il dresse le portrait d’une vingtaine de guides qui racontent leur passion, ndlr), fait attention à chaque phrase. Certains guides savent tellement bien parler de leur métier. Personnellement, la montagne m’a marqué. Ce n’est pas dur d’écrire sur ce sujet, car ma vie s’y est entremêlée. J’y habite et surtout, je suis sidéré devant sa beauté, sa grandeur. On peut dire que c’est du gâteau tous les jours. Je dois trouver les mots justes pour dire les émotions énormes, décrire au mieux les vies incroyables de ceux qui y vivent.
Pour la rendre encore plus accessible, une association comme 82-4000 Solidaires est une initiative intéressante. Hugues Chardonnet y propose l’accès à la montagne aux personnes en extrême précarité. Guider en montagne, c’est aussi ouvrir les portes de cet univers à un public qui n’a pas toujours la possibilité de s’y rendre. Il ne s’agit pas d’aventures épiques, mais du regard d’un jeune homme qui n’a jamais rien vu d’autre que la banlieue. La montagne n’est jamais aussi belle que lorsqu’elle est vue avec un regard neuf. Cela doit aussi servir à ça, un guide : poser un regard nouveau. Le guide est là pour donner les clés, permettre aux gens de faire l’expérience de la beauté. Il faut contrecarrer la privatisation de l’espace montagnard, qui veut réserver la montagne aux plus riches, en faire un hub touristique pour fortunés.
On n’avait pas de méthode pour cet ouvrage. C’est venu tout seul. On connaît le milieu montagnard. Les guides, on voulait les voir, partager un repas avec eux, partir en montagne en leur compagnie. Ils ont su se livrer. Nous n’avons pas été confrontés au cliché du guide taiseux. Ce qui a été délicat c’est de parler du risque de l’accident. La fonction du guide, c’est d’éviter l’accident. Sa vie va être marquée par une chute, une mort. Les guides ont tous cette hantise et quand il se produit ils y pensent toute leur vie.
La plupart des clients «consomment» la montagne, font des sommets connus et réputés dans un laps de temps réduit sans avoir l’entraînement ou le bagage physique et technique. Ce que j’ai compris également, c’est le changement de paradigme dans la fonction et la place du guide ; c’est le modèle vertical du guide tout-puissant qui est dépassé, pour la bonne raison que cela augmente le risque. Pour certains l’arrêt au refuge n’est pas une vulgaire halte. Par exemple, la marche d’approche peut être aussi importante. Un des enjeux de demain est d’inventer un alpinisme féminin, qui ne soit pas un alpinisme qui produise de la ségrégation.
Je mets l’accent sur la beauté, or, l’accès à la beauté est proportionnel aux risques. La beauté fait partie des raisons qui poussent guides et clients à retourner en montagne malgré le risque, malgré la souffrance physique. On peut retrouver en hauteur ce plaisir du partage de l’effort, du jeu ; cette contemplation esthétique de lieux hors du monde. C’est un geste poétique et graphique sur le métier, la retranscription de rencontres.
La montagne est sublime, d’une beauté qui nous dépasse. En une seconde, on est bouche bée. Je n’ai pas les mots pour décrire tout l’enjeu de l’écrivain, qui consiste à trouver des mots pour décrire cette beauté et ce que nous apporte la montagne c’est pourquoi la montagne est mon maître, je me sens toujours humble et on apprend toujours avec elle.»