Jean Jouzel, paléoclimatologue, et colauréat du prix Nobel de la paix 2007, quand il était vice-président du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), refuse de céder au pessimisme, même si «le climat est morose», entre une COP29 en négociations prolongées et la réélection de Donald Trump aux Etats-Unis. Il prône l’action, car «tout dixième de degré économisé compte», a-t-il expliqué devant l’auditoire du Climat Libé Tour à Dunkerque, vendredi soir.
La COP29 s’est prolongée en Azerbaïdjan à cause des difficultés pour trouver un accord entre les pays présents. Est-ce que ces sommets internationaux sont encore utiles, selon vous ?
Oui, ils le sont. Il y a une vingtaine d’années, dans le scénario business as usual, on était à une augmentation des températures de 5 degrés par rapport à l’ère préindustrielle. Maintenant, on est plutôt à 3 degrés, parce qu’il y a eu une prise de conscience dans les années 90. Un monde sans Giec et sans COP, on ne saurait pas très bien où il irait. Ce sont vraiment des conférences où tous les pays se retrouvent et ont le droit à la parole. C’est vrai, on pourrait s’occuper du climat seulement avec les pays émetteurs, mais les conséquences sont également dans les pays en développement. Cette solidarité internationale est importante. Si on n’aide pas financièrement un continent comme l’Afrique, il va se développer autour des combustibles fossiles et on aurait perdu au niveau du climat. L’Afrique est autonome énergétiquement avec ses réserves de gaz, de charbon, de pétrole. Son développement pourrait se faire avec des énergies renouvelables, mais seulement si on aide ces pays.
En France, Michel Barnier n’a pas présenté de mesures concrètes en faveur du climat dans son discours de politique générale. Qu’en pensez-vous ?
Il y a tout de même une planification écologique. Aux dernières nouvelles, ce secrétariat était maintenu. Mais en ce moment, on ne parle pas du tout du climat. C’est quelque chose qui est au second plan. J’étais plus optimiste il y a huit ans après l’accord de Paris [signé par 195 pays, il prévoit la réduction des gaz à effet de serre, ndlr]. La réalité, c’est que l’ambition est là, inscrite dans les textes, mais les mesures au jour le jour ne sont pas à la hauteur de l’ambition. Si on arrivait à la neutralité carbone à l’horizon 2050, ce serait merveilleux.
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Est-ce qu’à votre avis, le populisme menace la cause climatique ?
Le populisme consiste à dire aux gens que tout va bien, qu’on va continuer comme ça. Non. L’écologie de bon sens, celle qui veut supprimer les éoliennes, n’a aucun sens. Soyons clair, ce qui s’est passé l’hiver dernier dans le Nord et le Pas-de-Calais, les rivières qui débordent, se reproduira. Il faut regarder les choses en face. La communauté scientifique est quand même relativement crédible pour qu’on lui accorde crédit sur ce qu’elle prévoit pour la deuxième moitié du siècle. Il faut prévenir, il faut alerter. A Valence, l’alerte n’a manifestement pas été à la hauteur.
Comment faire pour lutter contre cette forme d’indifférence sur les changements climatiques ?
La solution, pour moi, c’est beaucoup d’éducation, et montrer qu’on peut construire un modèle économique, comme avec les gigafactorys de batteries électriques qui s’installent ici, dans le Dunkerquois. Ce qui est proposé par la transition écologique est plutôt attractif, en termes de mode de vie : un peu de sobriété dans les transports aériens, la limitation de cette tendance à avoir des véhicules plus lourds, ce n’est pas un retour en arrière. Il n’y a pas de raisons fondamentales d’être contre des bâtiments bien construits, rénovés, qui créent de l’activité économique.
Vous croyez donc à l’industrie verte ?
Il faut continuer à innover, mais au service de la neutralité carbone. La sobriété est nécessaire, mais je ne veux pas d’une société figée : nous ne savons pas ce que connaîtront nos jeunes dans trente ans. Ce sera très différent de ce que nous vivons, avec par exemple l’émergence de l’intelligence artificielle. Le réchauffement climatique rajoute une couche à tout cela. Je suis persuadé qu’on peut construire une dynamique autour de la transition carbone. J’encourage à l’action.