Libération, partenaire du cycle de conférences «Qu’est-ce que la vie ?» (de septembre 2022 à janvier 2023) organisé par la Cité des sciences et de l’industrie, proposera régulièrement articles, interviews et tribunes sur les sujets abordés. A suivre, sur place ou en visio, la conférence de Jean-Léon Maître, le 20 octobre.
Sa première fois, c’était un poisson-zèbre, dans le laboratoire de l’Institut Max Planck à Dresde, en Allemagne. Jean-Léon Maître se souvient parfaitement de son émerveillement devant une vidéo en accéléré du développement de l’embryon de ce poisson. La beauté d’abord, mais aussi toutes les questions non résolues posées par cette chorégraphie de cellules, qui se divisent, changent de forme, de position. «Comment, à partir d’une seule cellule qui contient déjà l’information, tout s’organise, tout est à sa place, aussi bien les traits d’un visage que l’on pourrait reconnaître entre mille dans le cas d’un embryon humain que chaque organe : c’est fascinant», s’enthousiasme le chercheur. Dès ses études doctorales, le biologiste choisit donc de s’intéresser à la mécanique des cellules embryonnaires. Depuis 2016, il dirige à l’Institut Curie, à Paris, l’équipe de recherche mécanique du développement des mammifères, qui compte des biologistes, mais aussi un médecin et un mathématicien.
Bulles multicolores sur fond noir
Pour mieux faire comprendre «ce qui le sort du lit le matin», il insiste pour que l’on visionne quelques films. Une minute à peine pour s’initier à la magie du monde minuscule. On découvre ainsi les 16 heures nécessaires à l’élaboration du système nerveux du poisson-zèbre. Sur l’écran, les neurones envahissent peu à peu tout le corps de l’animal. Sur un autre film, un petit train de cellules vient déposer les futurs poils sensoriels du poisson, de la tête à la queue. S’il en a vu des centaines, ces images en noir et blanc, tout comme les photos des cellules, bulles multicolores sur fond noir, continuent de ravir Jean-Léon Maître. «C’est toujours pareil, mais je vois à chaque fois quelque chose de différent !»
Pour comprendre l’émergence des formes dans la nature, Jean-Léon Maître et son équipe étudient les forces. Comme tous les matériaux, les cellules ont des propriétés mécaniques. Il s’agit de pouvoir mesurer les forces qu’elles produisent pour sculpter l’embryon. «Mais nous voulons évaluer cela tout en maintenant l’embryon en vie, autrement dit sans le passer dans un accélérateur à particules ! précise le chercheur. Nous utilisons donc des outils biophysiques mais aussi de la microscopie à haute résolution pour observer les changements de forme de l’embryon et la génétique pour perturber le système.»