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Libération
Enquête

Jeunes et fake news climatique, leurre de l’âge

A l’heure où la France mobilise l’Europe pour faire appliquer une majorité numérique sur les réseaux sociaux, la génération Z est-elle la plus vulnérable aux fausses informations, notamment climatiques ?

Un temple de Guanyin partiellement submergé par les eaux du fleuve Yangtze en crue, à Ezhou au centre de la Chine, en juillet 2024. (AFP)
Publié le 22/05/2025 à 15h51

Interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans ? C’est ce sur quoi Clara Chappaz, secrétaire d’Etat chargée de l’IA et du numérique dit «travailler». «La France se donne trois mois pour mobiliser nos partenaires européens autour d’une ligne simple : la vérification d’âge comme impératif», déclarait-elle dimanche 11 mai. Une loi du 7 juillet 2023 interdit déjà théoriquement aux moins de 15 ans de s’inscrire sur les réseaux sociaux sans autorisation parentale. Désormais, le gouvernement voudrait aller plus loin et convaincre la Commission européenne de renforcer le Digital Services Act et d’imposer, à l’échelle de l’Union européenne, une majorité numérique contraignante.

Cette offensive survient alors que l’Eurobaromètre sur la jeunesse de fin 2024, commandé par le Parlement européen, montre que ceux qu’on qualifie volontiers de «natifs numériques» restent l’une des plus exposés aux fausses informations, dont celles sur le climat. L’étude pointe que loin de protéger cette génération, leur familiarité avec le numérique les rend étrangement plus vulnérables aux fake news, juste derrière les plus de 65 ans qui en partagent sept fois plus que les 18-29 ans.

«Un effet de génération»

Selon ce baromètre encore, près de la moitié des jeunes Européens s’appuient principalement sur des plateformes comme Instagram (47 %), TikTok (39 %) et X (21 %) pour accéder aux informations sur la politique et les questions sociales. D’ailleurs, plus les personnes interrogées sont jeunes, plus elles sont susceptibles de s’informer via les réseaux sociaux.

Pour Rudy Reichstadt, directeur de Conspiracy Watch, cette vulnérabilité n’a rien de paradoxal : «Ce n’est pas tant un effet d’âge qui joue. Ce n’est pas parce qu’on est plus jeune qu’on est plus complotiste. C’est un effet de génération. C’est parce qu’on est jeune maintenant, qu’on est socialisé d’une certaine manière et qu’on est plus exposé aux fausses informations que les générations qui nous ont précédées l’étaient.»

Cette exposition permanente aux réseaux sociaux a des conséquences particulièrement préoccupantes sur la perception des enjeux climatiques. Une étude de la fondation Jean-Jaurès révèle qu’une proportion significative des 16-24 ans manifeste une forme de climatoscepticisme, un taux plus élevé que dans d’autres tranches d’âge. Plus inquiétant encore, la confiance dans la science s’érode chez les jeunes : alors que seulement 6 % des 18-24 ans pensaient que «la science apporte à l’homme plus de mal que de bien» en 1972, ils sont 17 % à partager cette opinion aujourd’hui.

Rudy Reichstadt observe une «forme d’industrialisation de la fake news» rendue possible par les plateformes numériques. «C’est massif et torrentiel. C’est démultiplié. Tout le monde peut s’y mettre, et pour un coût proche de zéro. C’est très facile de faire du faux, y compris du faux sophistiqué avec de l’IA générative, de faire des fausses photos.»

L’effet de «vérité illusoire»

Confrontés à ce déluge informationnel souvent contradictoire, les jeunes développent deux types de réactions : d’un côté, un désengagement qui crée un décalage entre leurs préoccupations affichées et leurs actions concrètes, et de l’autre, une éco-anxiété paralysante. Malgré leur conscience des problèmes environnementaux, ils peinent à transformer cette inquiétude en engagement réel. Une étude internationale ce phénomène, montrant que près de sept jeunes sur dix se déclarent «très inquiets» ou «extrêmement inquiets» du changement climatique – une anxiété qui, paradoxalement, peut conduire à des comportements de déni ou de désengagement comme mécanisme de protection psychologique.

La bataille contre les fake news climatiques est donc aussi une bataille pour l’avenir. Et elle se révèle d’autant plus complexe que, contrairement à une idée reçue, ce n’est pas parce que les jeunes partagent moins de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux qu’ils y adhèrent moins. D’après Conspiracy Watch : les moins de 35 ans souscrivent entre deux à trois fois plus que les seniors aux théories du complot. Ce paradoxe s’explique notamment par l’effet de «vérité illusoire» – la tendance psychologique à considérer comme vraie une information simplement parce qu’on y a été exposé de façon répétée, un phénomène particulièrement puissant dans l’écosystème fermé des plateformes sociales.

Entre les promesses de régulation politique et l’urgence éducative, c’est peut-être finalement dans la qualité de l’information scientifique elle-même que réside une partie de la solution. Rendre la science accessible, désirable et compréhensible apparaît comme un défi au moins aussi important que de réguler les plateformes. Car si les jeunes se détournent du consensus scientifique, c’est aussi parce que les voix qui le portent peinent à être entendues dans l’océan algorithmique qui façonne désormais leur vision du monde.