Quand Tatiana-Mosio Bongonga parle de sa discipline, le funambulisme, c’est toujours pour la déconstruire. Fini, le mythe de l’artiste-performeur solitaire, vulnérable, à la merci d’un coup de vent. Terminée, cette métaphore de la solitude absolue, d’une traversée qui ne se ferait que par la seule force de la volonté et de la témérité. «Même si le fil, c’est particulièrement déconnectant, il faut sortir de cette idée, commence Tatiana-Mosio Bongonga qui, à 40 ans, s’entraîne à cette discipline depuis ses 8 ans. Certes, c’est très haut, loin des spectateurs, avec l’impression d’une grande prouesse, mais ce qui m’intéresse, c’est de remettre cet extraordinaire en bas. Le fil, pour moi, ce n’est rien d’autre qu’un sol, en plus haut et en plus fin.» Surtout, elle veut y intégrer les autres. Mais comment faire participer la foule à une performance en apparence si solitaire ? Comment faire corps, au sens propre, avec cet autre si fragile, et qui marche tout là-haut, dans les nuages ?
Cinquantaine de volontaires impliqués
Avec son technicien Jan Naets et la chorégraphe Anna Rodriguez, le trio a imaginé un spectacle participatif, appelé Lignes ouvertes, qui se déroulera le soir du 8 juin entre les Jardins de l’écluse, à Saint-Denis, et le Stade de France (Seine-Saint-Denis). A plus de 20 mètres de haut, sur une distance ascensionnelle de 200 mètres, Tatiana-Mosio Bongonga s’élancera pendant plus d’une heure sur un mince fil qui enjambe le canal Saint-Denis.
«C’est ce qui se passe avant et pendant la traversée qui est le plus important, insiste-t-elle. Dans les jours qui précèderont le spectacle, on se sera installés dans le parc juste en bas. On s’implante d’abord dans le quartier en donnant des ateliers funambule, des ateliers “grimp” [escalade, grimper dans les arbres, les parois, les immeubles, ndlr]. On aime installer un fil d’entraînement extérieur, les habitants voient ce qui se passe, et on a tout le matériel dans le camion pour les enfants qui, la plupart du temps, veulent tout de suite essayer.» Sur cette foule de curieux, une cinquantaine de volontaires, appelés «cavalettistes», du nom des ficelles tendues de part et d’autre de la funambule, seront sollicités pour la suivre le soir du spectacle. «S’ils ne nous aident pas, rien ne se passe», affirme-t-elle.
«Diffuser la responsabilité»
Comme l’explique Jan Naets, ces volontaires vont maintenir la stabilité du fil latéralement tous les 8 mètres ; on appelle ces câbles les «cavaletti». Ils servent à maintenir la tension dans une corde reliée au fil de marche. La foule devient donc responsable de la sécurité et du bon déroulement du spectacle. «Quand on est cavalettiste, on entre dans un autre état, poursuit Tatiana-Mosio Bongonga. Quand la corde est reliée au fil, on ressent le pas glisser… Les cavalettistes sentent le vent, les vibrations, tout ce qui bouge. Si quelqu’un dans l’ensemble est un peu fragile, d’autres peuvent compenser. C’est une façon de diffuser la responsabilité.»
D’autres performeurs ont relié avant elle des institutions (comme Nathan Paulin qui avait traversé la Seine de la tour Eiffel au Palais de Chaillot en 2021), mais sans l’aide du public. «Ce que l’on cherche, c’est entrer en contact avec les spectateurs. Pas ajouter un défi de plus à tout ce qui se fait déjà dans le domaine», ajoute l’artiste funambule. En plus des ateliers et des cavalettistes, les musiciens du spectacle (une chanteuse, un guitariste et un saxophoniste) iront à la rencontre des musiciens du Conservatoire de musique de Saint-Denis afin d’y intégrer des musiciens et des choristes locaux. Une vraie histoire de lignes ouvertes, qui accueillent et rassemblent, plutôt qu’une convergence vers un point unique, où tous frémissent pour un seul.