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Un corps de paysan musclé, en effort, penché sur du foin pour en faire une botte : à première vue, la sculpture le Botteleur, réalisée par Jacques Perrin en 1886, n’a pas grand-chose à voir avec l’escrime. Au Petit Palais, on peut pourtant voir à ses côtés une vidéo de l’épéiste handisport Gaëtan Charlot qui raconte, en tenue, ce qui l’a ému dans cette représentation. Charlot n’est pas le seul : le basketteur Léopold Cavalière a lui aussi été séduit par l’œuvre, y voyant l’illustration de cette quête du geste précis qui anime les athlètes. Dans l’exposition «le Corps en mouvement», ils sont douze athlètes et para-athlètes («arthlètes», disent-ils) à partager leur regard sur des œuvres allant de l’Antiquité au XXe siècle. Et expliquer en quoi certaines résonnent avec leur vie, leur pratique sportive, leurs ambitions.
L’exposition s’inscrit dans le contexte de l’Olympiade culturelle, un projet qui entend «explorer le lien entre l’art, le sport et les valeurs olympiques» à travers plus de 2 000 manifestations déployées sur l’ensemble du territoire, outre-mer compris. Au Mont-Saint-Michel, ce vendredi 31 mai, lors de l’étape du relais de la flamme, on pourra ainsi assister à la Tentation du ciel, un spectacle de Damien Droin sur le rêve de la conquête céleste porté par des sportifs, musiciens et circassiens. Quelques semaines plus tard, le collectif la Beauté du geste présentera une déambulation d’Aubervilliers à Pantin, point final d’un processus au long cours mené avec des habitants de la Seine-Saint-Denis. De l’autre côté du globe, en Polynésie, le Musée de Tahiti et des îles proposera quant à lui une exposition sur le surf : «Hörue, vagues d’hier et d’aujourd’hui». L’objectif, donc : rassembler les mondes artistique et sportif, «souvent présentés comme éloignés l’un de l’autre, voire ennemis, alors qu’ils exercent au contraire l’un sur l’autre une fascination mutuelle», analyse Dominique Hervieu, danseuse, chorégraphe et grande cheffe de l’Olympiade culturelle.
«Sportifs et danseurs utilisent leurs corps dans la même intention»
Cette passionnée du mouvement sous toutes ses formes sait de quoi elle parle : elle a longtemps hésité entre la carrière de danseuse et celle de gymnaste. «J’aimais cette quête de la perfection du geste, l’incessante répétition, l’exigence qui rassemble sportifs et artistes dans un état proche de l’obsession.» Le chorégraphe et metteur en scène Pierre Rigal réfléchit également à ces rapprochements. «Sportifs et danseurs utilisent leurs corps dans la même intention d’élaborer un mouvement, analyse-t-il. Les premiers le font surtout dans un souci d’efficacité – réceptionner un ballon par exemple – mais le spectateur y trouvera aussi une visée esthétique, de la même manière que dans l’art.» Lui aussi était athlète avant de «basculer» côté danse, et cette année, avec 150 coureurs de différents niveaux, il a monté un Ballet jogging, présenté le 10 mai à la scène nationale du ZEF à Marseille. Le 15 juin se tiendra aussi sur le parvis de l’Hôtel de ville à Paris le finale de la (Très) Grande Forme, performance lors de laquelle 800 amateurs et professionnels de toutes générations s’amuseront à mettre en tension geste sportif et dansé.
En 2010, le spectacle Boxe Boxe, du chorégraphe Mourad Merzouki, unissait déjà ce sport de combat à la danse et la musique classique. Cette année, en plus de proposer la «danse des Jeux» (un enchaînement de mouvements simples intégrant des clins d’œil à différents gestes sportifs), il signe la chorégraphie de l’équipe française pour l’épreuve de natation synchronisée. «Un vrai défi, sourit-il. J’ai essayé de sortir autant que possible de l’académique, de chercher quelque chose de viscéral, plus proche de l’ADN du hip-hop, d’un autre rapport à la musique.» Le 8 juin, il organisera d’ailleurs un «Grand Défilé hip-hop» dans la nef du musée d’Orsay. «Le musée induit une autre relation au spectateur, qui n’est pas assis dans un dispositif frontal comme au théâtre, mais se déplace, vit le mouvement autrement, à hauteur du danseur.» Dominique Hervieu confirme : les musées se sont prêtés au jeu de cette Olympiade culturelle. Bien leur en a pris : «Expérimenter un mouvement au cœur de cet écrin historique et esthétique permet de confronter de manière concrète l’art patrimonial et la société, le corps contemporain, bien vivant.»
«Créer dans des espaces inconnus et non maîtrisés»
Si les sportifs ont toujours en tête le souci de la performance, leur conception des corps a largement évolué ces dernières années, et leur préparation physique s’est complexifiée. «Des clubs ont importé des pratiques venues de la danse pour préparer les corps à l’effort, atteindre une nouvelle justesse dans la motricité ou éviter des blessures», expliquait ainsi à Libé le sociologue Patrick Mignon en septembre. «A première vue plus tourné vers la compétition que le monde artistique, le sport est peut-être finalement plus inclusif, pointe aussi Dominique Hervieu, qui rappelle qu’il y a plus de para-athlètes que d’artistes en situation de handicap sur scène. Les jeux paralympiques assument pleinement de mettre au centre ces corps a priori plus vulnérables, mais tout entiers tournés vers le dépassement de soi.» Autre élément contre-intuitif : l’enjeu dramaturgique, presque plus présent dans le sport que dans l’art. «Le théâtre engage par exemple un déroulé parfaitement maîtrisé, pointe Pierre Rigal. Tandis que si une performance sportive paraît a priori plus futile, elle convoque une dimension aléatoire très puissante. Un match captive les foules alors qu’il ne se passe rien !»
Toutefois, Dominique Hervieu est formelle : le sport n’est pas de l’art, et l’art n’est pas du sport. «La raison d’être du sport, c’est le record, l’exploit, analyse-t-elle. L’histoire de l’art a quant à elle été guidée par l’exigence d’invention, de recherche de sens et d’esprit critique, même si elle intègre la technique et la virtuosité.» Mourad Merzouki, quant à lui, refuse de se demander de quel côté il se situe. «C’est quand on sort des zones balisées qu’il y a prise de risque et renouvellement, justifie-t-il. J’aime créer dans des espaces inconnus et non maîtrisés : si le geste me plaît, quel qu’il soit, je l’intègre dans mon travail.» Libre ensuite à ce geste de circuler, du vestiaire à la loge, du terrain à la scène.