Espace de débats pour interroger les changements du monde, le Procès du siècle se tient chaque lundi à l’auditorium du musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, à Marseille. Libération, partenaire de l’événement, proposera jusqu’en mars, articles, interviews et tribunes sur les thèmes abordés lors de cette troisième édition. A retrouver ici. Informations et réservations sur le site du musée pour la conférence «Parentalités pour tous·te·s ?», lundi 29 janvier à 19 heures.
Qui a le droit d’être parent en 2024 et avec qui ? Grâce à la loi sur la PMA pour toutes adoptée en 2021, la journaliste Judith Duportail a pu être mère – elle vient d’avoir des jumeaux – hors du mariage, du couple et du cadre de l’amour romantique. Elle publiera à l’automne prochain Maternités Rebelles (Binge Audio éditions) et sera présente au Mucem lundi 29 janvier.
Peut-on être parent sans être père ou mère de l’enfant ?
Oui, on peut être parent sans être le parent biologique de l’enfant. C’est un discours qu’on est beaucoup à porter aujourd’hui, parmi toutes celles et ceux qui essayent de réfléchir à comment être parent entouré d’amis ou de liens amicaux, hors des liens de l’amour romantique. Cela veut dire quoi être parent ? Transmettre, aimer, éduquer, apprendre des choses, être une personne responsable ? On peut avoir toutes ces dispositions vis-à-vis d’un être qui n’est pas forcément un enfant de son sang. En pratique, c’est parfois difficile à mettre en place parce qu’on se heurte à la raideur de la tradition et aux fonctionnements de la société. Je pense à l’Italie où Meloni veut retirer leur titre de mère aux mères lesbiennes qui n’ont pas porté leur enfant. On gagnerait aussi à se poser ces mêmes questions de la parentalité et du soin avec des êtres qui ne sont pas forcément humains, à avoir cette attitude envers la nature par exemple. Comment pourrait-on materner un peu plus notre environnement, notre société ? Je rejoins les féministes qui veulent remettre en avant le care dans ces domaines, pas seulement dans le lien mère enfant.
La natalité est en baisse en France pour de multiples raisons. De plus en plus de personnes disent ne pas vouloir d’enfant…
Oui, ce n’est pas forcément une mauvaise chose que davantage de femmes décident de mener une vie libre, une vie pour elle. Le combat est encore long pour nous libérer de l’assignation à la maternité. Parfois, la non-maternité est aussi un choix de mère en soi, un choix responsable et aimant, digne de celui d’une mère. C’est ce qu’expliquent certaines femmes quand elles font des IVG. Elles expliquent qu’elles prennent la décision en tant que mère dans le sens où elles savent qu’elles ne seraient pas capables d’être la mère que mériterait leur enfant. Parmi les personnes qui expliquent ne pas vouloir faire d’enfant, il y a aussi une terreur de l’avenir, à cause de la catastrophe climatique. Je comprends cette raison, elle m’attriste, elle devrait pousser nos dirigeants à se saisir de l’urgence.
Vous essayez de sortir la parentalité du couple traditionnel soudé par l’amour romantique, ce que vous appelez la «conspiration de la romance»…
Je n’essaie pas, je le fais ! J’ai dissocié dans ma vie personnelle la maternité de l’amour romantique. Cela m’a permis de réévaluer mes priorités et de changer mon point de vue sur l’amour romantique. La PMA solo m’a permis cette dissociation. Tout le travail féministe fait autour des relations de couple m’a ouvert les yeux sur la réalité et les contraintes de la vie en couple, la réalité de l’inégalité dans les foyers hétérosexuels. C’est mon combat, mon travail et ma vie quotidienne.
Vous êtes de plus en plus nombreuses à faire ce choix ?
Les femmes célibataires sont majoritaires dans les demandes de PMA aujourd’hui en France. On nous présente souvent comme des femmes qui ont fait un bébé «toutes seules» mais je refuse cette dénomination. Déjà, elle est inexacte, nous n’avons pas fait un enfant seules, personne ne le peut. Nous avons fait un enfant grâce à quelqu’un qui nous a aidées. Chaque PMA est une très belle histoire. Ensuite, elle sous-entend que vivre hors du couple est forcément être seule. Etre sans homme signifierait être seule au monde ? La réalité est plus complexe et, heureusement, plus joyeuse.
Est-ce une nouvelle façon d’être parent ?
Certainement. Souvent, ce parcours demande un grand travail de réflexion, d’introspection. On se demande comment devenir mère, comment en parler, s’organiser. On est dans une forme de parentalité extrêmement réfléchie, consciente, peut-être bien davantage que si on s’était laissé porter par les événements de la vie. Par exemple quand on veut faire une PMA en France, on voit un psychologue deux fois. Tout le monde devrait en faire autant avant de faire un enfant ! Pas pour être évalué, juste pour parler de ce que c’est de devenir mère, de devenir parent. On parle de maternité, de transmission, de la vulnérabilité du nourrisson, autant de questions qui nous traversent et peuvent être extrêmement déstabilisantes.
Comment vivez-vous cette forme de parentalité ?
C’est une forme de rébellion et en même temps il y a quelque chose de très banal. Mon quotidien est quasiment le même que celui de n’importe quelle maman. Bisous, câlins, couches, chansons : finalement, l’amour est universel. Je suis gaga comme toutes les mamans. La différence, c’est que je suis leur seul parent. J’ai la chance d’être très entourée. Beaucoup de tontons, beaucoup de famille, ma mère, mon frère, il y a toujours du monde à la maison. J’ai l’impression d’être moins dans un huis clos que mes amis qui sont en couple. Personne n’ose trop venir les déranger parce qu’on se dit «ah, il y a le couple»…
Une maternité rebelle, pour reprendre le titre de votre livre, c’est quoi alors ?
J’ai l’impression d’avoir entendu tout au long de mon existence un double discours. Le discours officiel met en avant la liberté des femmes, la possibilité pour elles de faire tous les métiers, toutes les études qu’elles veulent. Et puis il y a un contre-discours, qu’on retrouve notamment sur les réseaux sociaux et dans la culture, disant que les femmes libres sont malheureuses. Dans les films, les soi-disant «carriéristes» pleurent dans leur lit, les fêtardes le feraient pour «oublier» qu’elles sont déprimées, les amies ne le sont que jusqu’à rencontrer un homme, etc. Ce contre-discours très puissant vient marquer nos esprits et agit comme une menace. Il affirme : la liberté rend malheureuse, reste bien sagement chez toi avec ton mec, ou tu le regretteras. Avec ce livre, je veux dire qu’il y avait quelque chose de rebelle et non de triste dans le fait de ne pas accepter d’entrer dans ce cadre, de refuser l’impératif conjugal qui impose de renier plus ou moins qui on est. J’avais à cœur de donner cette image positive et montrer le courage de celles qui l’entreprennent.
Qui a le droit d’être parent en 2024 ?
C’est la question de l’humanité depuis la nuit des temps. Quand on regarde toutes les évolutions du droit, de la famille et du mariage, toutes ces institutions sont des tentatives de décider quels sont les désirs d’enfants légitimes ou pas aux yeux de la société. Avec la loi sur la PMA pour presque toutes, nous poursuivons cette réflexion.