En 2024, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous gratuits et grand public. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires. Troisième étape de notre seconde édition : Grenoble, les 4 et 5 octobre. Un événement réalisé en partenariat avec la métropole de Grenoble et avec le soutien du Crédit coopératif, le groupe Vyv, l’Agence de la transition écologique (Ademe), la Fondation Jean-Jaurès, Oxfam, Greenpeace, le magazine Pioche ! et Vert le média.
L’écologie n’est pas condamnée à s’adresser aux personnes diplômées ; elle doit devenir un sujet de société partagé par tout le monde. Toucher un public populaire, c’est lui faire vivre de fortes sensations, être proche de lui : le plaisir, la fête, le rire. Mais aussi des émotions qui touchent aux larmes, parfois de la tristesse. Les graphiques scientifiques peinent à le faire, et la lutte écologique l’oublie parfois, prise dans l’âpreté des combats. Mais l’art et la culture le peuvent, c’est leur rôle dans la société. Résumer l’engagé écolo à un éternel Robin des bois qui sauve la planète, pour racheter la passivité des gouvernants, ce serait l’enfermer dans une case. Raboter son humanité. Notre société a besoin d’actions emblématiques : monter dans l’arbre pour le défendre. Et aussi des actions du quotidien, que chacun peut s’approprier dans son métier, dans son intimité, dans ses loisirs. Pour cela il faut lui en donner le goût.
Nous plaidons pour un tournant dans la façon de communiquer et de parler d’écologie ; développer une écologie enviable, et non redoutée. L’art et la culture populaire sont capables d’inspirer, de susciter ce désir. Avec l’art, tout devient possible. Cette métamorphose immédiate du présent ouvre le champ des transformations, car rien n’est pire en art (ou en politique) que le manque d’imagination ! La société entière demande avec insistance de tracer les contours enviables de notre futur ; elle peut se passionner pour l’écologie si on la guide, et si on l’aime.
Danse d’amour avec une bétonnière
Dans le spectacle l’Eloge de la forêt (1), nous commençons par un clin d’œil historique : la forêt de Fontainebleau a été sauvée par George Sand et les peintres de Barbizon. Ils ont créé une sorte de ZAD d’artistes dans les années 1 850. Ils luttaient contre l’Etat qui abattait les vieux chênes pour les remplacer par des pins de meilleur rapport, et ils ont gagné. En 1861, première mondiale : Napoléon III prend un décret pour sanctuariser plus de 1 000 hectares de forêt.
De 1850 à 2024, mêmes constantes : la forêt et la nature sacrifiées pour remplir les caisses. Le chantier de l’A69, les forêts de Guyane abattues, les platanes sacrifiés, c’est notre Fontainebleau de 2024. Et les coupes rases nous rappellent à une réalité : l’écologie comme la liberté ou l’égalité ne sont pas des acquis. Chaque génération devra les défendre à son tour. Une société écologique existera dans les mêmes termes qu’une société qui garantit nos droits et nos libertés, par la vigilance et la ténacité. La mise en lumière culturelle de ces valeurs est alors capitale. Elle permet de construire dans l’espoir. Elle donne aussi courage car ce qui gagne c’est aussi ce qui sait durer, c’est l’intelligence du long terme. Nul besoin de faire d’études pour toucher le cœur : «Moi je suis comme vous, maman, papa, grand-père d’un enfant à qui je veux transmettre le meilleur de la Terre.» Voilà, c’est le fond de notre histoire, à toutes et tous. Dans le spectacle l’Eloge de la forêt, la farce s’invite volontiers : Thomas Brail devient le directeur de cabinet d’un Président… qui passe ses journées dans un arbre. La bétonisation des sols est incarnée par un voltigeur qui mène une danse d’amour avec une bétonnière, qui peu à peu va l’assujettir. Le piano devient un écran magique sur lequel poussent des fleurs fantastiques ; une Présidente démente jure qu’elle va sauver le monde par la technologie… Un éclair la balaye ! Un rappeur appelle à l’espoir et à la lumière. Oui et mille fois oui, il est permis de rire ou de pleurer de joie en écologie.
Nos sociétés sont gérées par des statistiques et des quotas. Elles ignorent trop l’humain, qui se sent oublié, méprisé et peu reconnu. Un sentiment profond d’injustice émerge, et dans sa fureur il peut balayer nos principes fondamentaux. Dans ce type de crise, nul n’est innocent. La culture populaire et l’art doivent prendre toute leur part dans ce débat, pour notre bien collectif.