Menu
Libération
Le temps des villes et des territoires : interview

«La densification spontanée ne crée pas de nouveau modèle urbain»

Roelof Verhage est directeur de l’Institut d’urbanisme de Lyon.
Vue aérienne de l'ancien campus de l'école EM Lyon et du campus actuel de l'école Centrale. (Pierre Antoine Pluquet/Hans Lucas)
publié le 28 juin 2023 à 5h38
Comment réconcilier métropoles et campagnes, périphéries et centres-villes, écologie et habitat. A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines; en attendant notre supplément de 12 pages à paraître le vendredi 30 juin.

Comment loger davantage d’habitants sans étendre toujours plus les villes ? Dans l’ouvrage Quand la métropole cesse de s’étaler (éditions Autrement, 2022), Roelof Verhage, directeur de l’Institut d’urbanisme de Lyon, questionne la densification des bourgs périurbains.

A l’échelle nationale, l’étalement urbain se poursuit, malgré la loi climat et résilience de 2021. La même tendance est-elle à l’œuvre dans la métropole lyonnaise ?

Lyon et son territoire ne font pas exception. L’objectif «Zéro Artificialisation Nette» à horizon 2050, contenu dans la loi de 2021, est encore trop récent pour être effectif, et notamment pour se traduire dans les plans locaux d’urbanisme (PLU), souvent conçus pour une dizaine d’années. Aujourd’hui, le «trop-plein» de la métropole lyonnaise se déverse encore en grande partie dans les zones périurbaines, à travers la consommation d’espaces naturels ou agricoles. Imaginez un gros tas de sable sur lequel on verse toujours plus de sable : il s’étale sur ses côtés. C’est ce qu’on souhaite désormais juguler.

Les territoires périurbains sont souvent jugés coupables du mitage, c’est-à-dire la prolifération anarchique des constructions, des campagnes. Dans votre dernier ouvrage, vous semblez dire qu’ils font aussi partie de la solution…

L’artificialisation des sols s’observe en grande partie dans les zones périurbaines – c’est là qu’il y a de la place ! Mais opposer ces territoires aux grandes villes ne correspond pas aux interactions en cours. Au sein de la métropole lyonnaise, la population s’accroît, la «décohabitation» (liée aux séparations ou aux départs d’enfants) s’accentue, donc le besoin d’habitat progresse. De fait, plusieurs milliers de nouveaux logements sont livrés chaque année à travers des opérations de réhabilitation, de reconversion, et de démolition. Mais l’impératif de construire «la ville sur la ville» trouve ses limites dans cette métropole déjà très dense, et s’impose également aux territoires périurbains et périphériques. Les communautés de communes de l’Ouest lyonnais, très attractives du fait d’un cadre de vie agréable et d’une proximité à la capitale régionale, apportent une piste de solution à travers l’ambition de «village densifié», inscrite dans leur schéma de cohérence territoriale (Scot). Il s’agit de s’inspirer de la morphologie historique des bourgs des alentours lyonnais pour rapprocher les activités des habitants et des usagers, plutôt que de favoriser les extensions pavillonnaires. En pratique, cela passe par la valorisation d’espaces vacants en cœur de ville, par une offre diversifiée de logements, avec des petits ensembles collectifs et des habitats mitoyens, ou encore par le soutien au commerce de proximité, avec un encadrement strict des grandes surfaces commerciales. C’est un nouveau modèle de village métropolitain qui s’invente.

Quels sont les freins à l’émergence de ce nouveau modèle périurbain ?

Dans l’Ouest lyonnais comme ailleurs, modifier un PLU est très chronophage pour les équipes municipales de petites communes, et la densification, même douce, se heurte à l’opposition d’une partie de la population et de certains élus – les logements collectifs, notamment sociaux, suscitent des réticences. Multiplier les lotissements reste la façon la plus simple d’accueillir de nouveaux habitants. Sans volonté politique forte, la densification spontanée opérée par les acteurs privés ne crée pas de nouveau modèle, elle ne fait que dégrader le modèle existant : les divisions parcellaires anarchiques génèrent des conflits de voisinage et des insuffisances des réseaux publics (assainissement ou voirie), la taille des parcelles des lotissements se réduit (450 mètres au lieu de 1000 mètres) mais les pavillons restent centrés sur leur terrain…

La puissance publique a donc un vrai rôle à jouer pour orienter l’urbanisation vers un nouveau modèle périurbain. Cela passera par des formes d’habitats alternatifs, alliant une densité plus élevée avec une meilleure insertion aux paysages urbains et naturels. Cela se jouera aussi sur le renforcement des centralités, notamment autour des centres bourgs des axes forts de transport en commun, afin de rendre certaines opérations de densification intéressantes à la fois pour les investisseurs et pour les futurs occupants.