Initiative citoyenne, le Festival des Idées organise, du 4 au 6 juillet à la Charité-sur-Loire, plus de 30 rendez-vous pour débattre des défis culturels et politiques de demain. Un événement dont Libération est partenaire.
Cela fait bien trop longtemps que la politique à gauche est devenue l’une de ces fêtes ennuyeuses. On n’y vient que parce qu’on n’a pas le choix, parce qu’on n’a rien d’autre à faire ou parce que tout le monde nous rabâche que ne pas venir ferait de nous une mauvaise personne. Le pire, c’est que cette fête n’est plus seulement ennuyeuse, elle devient vraiment désagréable. Des gens passent leur temps à s’y écharper et on nous demande systématiquement de prendre parti pour l’un ou l’autre des bagarreurs. Des hommes hurlent dans le micro pendant que des femmes tentent tant bien que mal de proposer une autre playlist. Lorsqu’on ose s’en offusquer, on se fait rapidement huer par toute l’assistance qui exige notre départ de la salle. La plupart du temps, on nous exclut indéfiniment pour avoir fauté. C’est presque un soulagement.
Si nous souhaitons vraiment faire gagner la gauche et sauver notre démocratie, notre fête doit devenir un lieu de joie, un espace où l’on est accueilli et encouragé à danser. Il ne s’agit pas d’ajouter quelques confettis, ni de nier la gravité du moment. Il s’agit de changer drastiquement la culture politique que nous diffusons : une culture qui écrase, qui humilie, qui essentialise, qui épuise. Une culture militante qui emprunte au patriarcat, ou un seul homme pourrait être notre sauveur et où l’on doit obéir ou disparaître. Une culture qui emprunte au néolibéralisme, ou la compétition a remplacé la coalition et la solidarité, où il faut faire plus grand, plus fort, plus violent pour être respecté. Où les émotions sont instrumentalisées au profit du gain de quelques-uns plutôt que pour nous rassembler autour d’expériences communes. Une culture militante ou la binarité, le campisme et le maximalisme nous empêchent de construire du pouvoir collectif.
Faire avancer nos valeurs ne peut se faire en promouvant dans nos espaces cette culture qu’on combat : un système de domination violent et implacable. Cette culture renforce la vision du monde des autoritaires et de l’extrême droite. Si l’on n’y prend pas garde, elle fera de nous tout ce que nous rejetons, entraînant dans notre chute un pays déjà traumatisé à qui l’on n’offre comme seule alternative que plus de colère et de désespoir. Cette culture reflète les valeurs de l’extrême droite et est incapable de proposer un projet suffisamment enthousiasmant pour faire barrage à la peur, à la frustration et à toutes les émotions négatives que génère la période. Elle nourrit les affects qui renforcent nos ennemis politiques et empêche de développer la force et le courage de désirer autre chose.
C’est une question de vision et d’éthique politique, mais aussi une question stratégique. Si la gauche politique et militante veut devenir majoritaire, elle doit ouvrir les portes plutôt que de faire passer un test de pureté à toute personne qui voudrait s’engager. Nous devons défendre nos valeurs sans rien sacrifier, tout en élargissant le cercle de nos solidarités et en cherchant des alliés, pas des ennemis. Nous ne serons pas d’accord sur tout et tant mieux : travaillons à nous améliorer collectivement, nous avons toutes et tous des angles morts. Le conflit politique est utile quand il permet de trouver des solutions qui répondent à la complexité du moment et des parcours de vie.
Avec humilité et curiosité, la gauche peut apprendre de ses erreurs passées et présentes, écouter et agir. Plutôt que de disqualifier systématiquement toute critique et les personnes qui les émettent, prenons-les comme une occasion de reconstruire le camp de l’émancipation qu’est la gauche.