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TRIBUNE

La justice ne doit pas avoir peur d’impliquer les citoyens et la société civile

Avec la crise de confiance qui touche l’institution judiciaire, une politique de grande ampleur s’impose afin de venir à bout des dysfonctionnements.
La ville de Bobigny photographiée par les élèves du collège Pierre-Semard. (metropop'! et les collégien·nes)
par Simon Clemenceau, avocat au barreau de Paris
publié le 14 juin 2025 à 11h42

Comment, à 20 ans, penser un futur plus désirable avec légèreté et joie ? Comment avoir confiance en l’avenir sans baisser les bras ? Pour sa deuxième édition, le festival Place à demain s’installe à Paris, au Palais de la Porte Dorée, le samedi 14 juin.

C’est désormais un lieu commun : la plupart des Français, en particulier les plus jeunes, ont perdu confiance dans l’institution judiciaire. Comment s’en étonner ? La réponse politique actuelle est à la fois hypocrite et aveugle. Hypocrite, car ceux-là mêmes qui crient chaque jour au prétendu laxisme de la justice, se comportent en adolescents irresponsables quand ils doivent répondre de leurs actes à la barre d’un tribunal.

Certains préfèrent jeter le discrédit sur leurs juges plutôt que d’engager le minimum d’introspection personnelle attendue lorsqu’on commet des actes répréhensibles. Il n’est, dès lors, guère surprenant que les mêmes souhaitent voir juger les mineurs comme des majeurs.

Réponse aveugle aussi. A la crise de confiance dans l’institution judiciaire, répondent les mêmes discours éculés et rebattus : toujours plus de répression et de soi-disant fermeté, la fin du sursis, la fin de l’excuse de minorité, réflexe préhistorique du tout carcéral, régimes d’exception, disparition progressive des jurés d’assises jugés trop coûteux, peines planchers et autres Guantánamo à la française, sans compter la dissimulation de pièces de la procédure aux avocats de la défense, considérés par principe comme des gêneurs…

Cette logique délétère conduit au ressentiment, à l’injustice, à la violence et en un mot : à l’échec. Pourtant, d’échecs en échecs, ceux qui prônent le tout-répressif diront qu’il faut aller encore plus loin : si ça ne marche pas, c’est que la dose n’était pas assez forte. Et pour finir, ils trouveront que l’état de droit est le problème, et non la solution. C’est pourtant tout l’inverse qui permettra de retrouver la confiance.

Chacun le sait, mais il est bon de le répéter : la justice française manque de moyens. La justice pénale en particulier est plus que jamais au bord de l’asphyxie et toute la chaîne est touchée : délais de traitement des plaintes, défaillance de l’accueil des victimes d’infractions, cabinets d’instructions surchargés, audiences de comparutions immédiates nocturnes, état scandaleux des prisons, justice des mineurs en lambeaux.

Faire entrer le public dans les salles d’audience

Le tableau ne serait pas complet sans mentionner les conditions de travail infernales des greffiers, des personnels de l’administration pénitentiaire, des éducateurs et des enquêteurs de personnalité et bien sûr, de nombre de magistrats et d’avocats. Une seule visite dans un tribunal suffit à s’en convaincre : le système pénal est au bord de l’implosion. Et la conséquence est évidente : manque de temps pour juger, manque d’accompagnement, manque d’écoute, manque de contradictoire.

Pourtant, donner les moyens à la justice est une condition nécessaire, mais pas suffisante pour sortir de la crise de confiance.

La justice ne doit pas avoir peur d’impliquer les citoyens et la société civile.

Les pistes concrètes ne manquent pas. Faire participer les citoyens à l’élaboration des lois, faire effectivement entrer le public dans les salles d’audience, étendre et non réduire les jurés d’assises, multiplier les expériences de justice restaurative, sensibiliser dès l’école au droit, faire entrer chercheurs, scientifiques dans les prétoires, organiser des événements et des dialogues dans les universités, impliquer les associations qui luttent contre les discriminations, celles qui accompagnent la prise en charge du mal-logement, des addictions ou des questions de santé mentale, celles qui viennent au secours des mineurs victimes de violences ou isolés, s’appuyer sur les éducateurs et l’aide sociale à l’enfance, sortir du tout carcéral…

Les citoyens qui ont été jurés d’assises racontent comment cette expérience les a transformés. Lorsqu’un citoyen, quelles que soient ses idées, se trouve investi, au nom de tous, du rôle de juger un homme, il n’est plus jeune ou moins jeune, riche ou pauvre, partisan de tel ou tel parti : il devient cet homme libre qui a devant lui l’immense responsabilité de juger, de douter et de choisir.

C’est ainsi que nous permettrons de sortir des débats stériles sur la justice pour qu’elle redevienne notre bien commun, le sol sur lequel poser notre pied, qui que l’on soit, où que l’on soit, quel que soit notre âge ou notre condition, notre genre, nos opinions ou nos origines, et que nous nous en donnerons les moyens.