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Tribune

La mixité sociale, éternel imaginaire

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
Par Lina Raad, enseignante-chercheure en urbanisme, Aix-Marseille-Université.
(Namthip Muanthongthae/Getty Images)
par Lina Raad, enseignante-chercheure en urbanisme, Aix-Marseille-Université, Laboratoire Interdisciplinaire Environnement Urbanisme
publié le 26 septembre 2024 à 22h52

A l’heure de la transition écologique, en partenariat avec la Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), plongée dans les projets et initiatives qui font bouger les politiques urbaines.

Depuis les années 1980, la mixité sociale est un objectif central des politiques urbaines, qui présente la particularité d’être plutôt consensuel : il est difficile de se revendiquer contre la mixité sociale, le flou de la notion entretenant toutefois une certaine ambiguïté quant à sa mise en œuvre, qui peut prendre des formes variées et desservir des objectifs politiques contradictoires.

Pourtant, de nombreux travaux de recherche sont venus déconstruire cette catégorie de l’action publique et ont souligné les limites des politiques de mixité sociale. La cohabitation d’individus appartenant à différentes catégories sociales dans un même quartier ne se traduit pas forcément par un réel mélange social et une interconnaissance, mais peut être à l’origine de pratiques d’évitement (scolaire notamment), d’entre soi, voire de conflits. Les effets des politiques de mixité sociale ont été très débattus par les chercheurs, dans leurs deux modalités d’intervention : la dispersion des populations dites défavorisées, et l’objectif d’attirer des classes moyennes dans les quartiers «défavorisés». Au-delà des difficultés opérationnelles, ces politiques se heurtent à un obstacle important : on ne peut pas contraindre des individus à s’installer dans un quartier s’ils n’en ont pas envie.

Cette mixité sociale, tant recherchée par les élus et les professionnels de l’urbanisme, reste une forme d’utopie, puisqu’elle n’a sans doute jamais existé. Comment expliquer la permanence de ce mythe de la mixité sociale, qui résiste aux critiques des chercheurs (comme l’avait déjà souligné Marie-Christine Jaillet en 2004)?

On ne peut plus dire aujourd’hui que ce serait le résultat d’une méconnaissance des travaux de recherche, tant les liens entre recherche et action publique se sont renforcés – comme en témoignent les dialogues acteurs-chercheurs dans le programme Popsu, mais aussi au sein de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine ou de l’Union sociale pour l’habitat.

Les professionnels de l’urbanisme sont conscients des limites des politiques de mixité sociale. Mais cette mixité représente un idéal qui guide leur action et lui confère un sens, c’est un récit performatif qui vient justifier les politiques qu’ils élaborent et mettent en œuvre. Les agents de l’Anru qui accompagnent le déploiement du (Nouveau) programme de renouvellement urbain dans les quartiers prioritaires de la ville avancent que sans l’intervention du programme, ces quartiers auraient connu une dégradation de leur situation sociale et urbaine. Ils brandissent l’idéal de la mixité sociale pour lutter contre la «ghettoïsation» de ces quartiers et leur paupérisation. L’action de ces agents est également guidée par les valeurs de l’intérêt général et l’idéologie républicaine : ils affirment que ces quartiers ne peuvent pas être abandonnés par l’action publique, ils doivent redevenir des quartiers «normaux» où chacun peut désirer vivre, quelle que soit sa position sociale. En filigrane est présente l’idée que les politiques de mixité sociale permettraient de sortir les populations défavorisées d’un environnement jugé néfaste, et que le fait de côtoyer des individus mieux dotés favoriserait leur intégration sociale – présupposés non démontrés par la recherche.