«Notre histoire commence dans un nuage, bien au-delà de la Terre, bien au-delà des montagnes. En ce nuage logeait un ange.» Ainsi débute le Bord du monde est vertical (1), premier roman de Simon Parcot, rencontré lors du Grand Bivouac d’Albertville. Le jeune auteur – qui a une formation de philosophe (il a enseigné un an avant de «fuir les quatre murs d’une classe» et anime désormais des «philo-randos») – habite dans une maison de famille dans la vallée du Vénéon dans le massif des Ecrins. L’occasion d’évoquer avec lui la montagne et l’altitude, le symbolisme des cimes ou les pistes damées trop sages. Rencontre.
La vallée du Vénéon est «une des vallées les plus raides et sauvages. Je me sens montagnard. Je ne la fantasme plus, la montagne. Je n’en ai pas de lecture romantique. Je la vois parfois comme un piège, une force sombre. Les paysans pensaient que le diable habitait dans les sommets. La haute montagne est parfois associée au paradis, à l’élévation matérielle, psychique et spirituelle. Il faut avoir conscience de sa beauté mais aussi de sa dureté et de sa laideur. Ce que je vais chercher en montagne, c’est l’ivresse – que j’utilise pour écrire et trouver l’inspiration. L’altitude a un effet sur les émotions et la pensée. Comme s’il existait un lien entre l’absence de “pesanteur” et ton identité, entre toi et l’environnement. Plus tu t’élèves, plus ton esprit devient clair et tes mots saillants, rabotant les pensées superflues [une réflexion inspirée de la philosophie de Nietzsche qu’il apprécie, ndlr]. Tu peux vite tomber dans le délire. L’inspiration poétique me vient comme un rêve. Je la mets sur papier. On se sent habité d’une telle présence, d’une telle puissance… La montagne a une âme, un caractère. Elle te permet de renouer avec un rapport archaïque à la terre… Il faut être petit et modeste, face à elle. C’est un contre-pied à la modernité.»
«J’ai besoin d’aller dans des zones désertiques qui révèlent la préciosité de l’existence», poursuit le philosophe qui a voyagé un peu partout dans le monde avant de se fixer dans l’Oisans. Ce livre raconte l’histoire d’une cordée de quatre. Une pisteuse qui trace la route. Deux chiens pisteurs. Le «buffle Vik», porte-traîneau chargé de poteaux électriques, qui doit faire une réparation. La vallée est enneigée, il fait -20 degrés, il neige. La ligne électrique a été emportée par une avalanche. Ils doivent rétablir la lumière dans le dernier village dans lequel vit un prêtre cristallier alcoolique…
On croisera ainsi Solal, le gamin qui vit dans le village, Gaspard le seul alpiniste de la bande, le héros du livre. «Il est fasciné par une montagne qui s’appelle le bord du monde. Cette montagne n’a pas de sommet. Il disparaît à chaque tentative d’ascension… Gaspard représente cet alpiniste de la démesure qui veut toujours aller plus haut. Solal est le contrepoint, incarnant la figure du sage. J’essaie de raconter cette contradiction entre le désir d’aller plus haut, plus loin, jusqu’à se brûler les ailes. Et Solal, de son côté, incarne l’énergie du renoncement.»
«La démesure qui veut toujours aller plus haut»
«A propos de la pratique des sports de montagne, il y a un paradoxe. La recherche du lisse, de l’efficace, ce qu’on pourrait nommer ‘‘l’hygiénisation de la montagne’'. Cela fait écho à nos modes de vie. Une piste lisse et damée vient répondre à cette demande d’aller vite, tout en faisant le moindre effort. Une facilité pour trouver des émotions, se faire un shoot d’adrénaline à bon compte… je l’analyse de manière sociale. Pourquoi se met-on en danger ? Nous avons devant nous une génération en recherche de limites, qui n’a pas connu la guerre, la maladie, la mort… On éprouve une grande jouissance, proche de l’orgasme, à côtoyer la limite. Cette jouissance diffusée par la société de consommation : avoir tout, tout de suite et que cela nous excite au maximum. Les sports d’altitude sont poreux à cette dynamique-là, qui est la recherche de la sensation.»