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Climat Libé Tour Paris : témoignages

«La pollution, je suis aussi né avec»

Climat Libé Tourdossier
Trafic incessant, transports en commun bondés, bruits, décès prématurés… Témoignages sur les nuisances du quotidien à la veille du prochain rendez-vous du Climat Libé Tour à Paris.
Sur le périphérique à Paris, en mars 2023. (Benoit Durand/Hans Lucas. AFP)
publié le 18 mars 2024 à 0h30
Les 29, 30 et 31 mars, rendez-vous à l’Académie du climat pour la deuxième étape du Climat Libé Tour. Un week-end au croisement entre écologie et enjeux sociaux à découvrir à travers concerts, stand-up, ateliers, mobilisation sur la pollution de l’air, rencontres et débats. Entrée gratuite sur inscription.

Porte de Bagnolet, lundi 11 mars, 11 h 30. On entend les klaxons sur le périphérique, mais aussi les oiseaux du square Séverine, crée en 1933 à l’initiative du médecin hygiéniste et bactériologiste Albert Besson, alors vice-président du Conseil général de la Seine. Des pelouses en pentes douces, des arbres, une aire de jeux et son bac à sable, des tables de ping-pong pour les enfants du quartier. Enfants du quartier, à l’école d’ailleurs à cette heure de la journée… Mamadou, assis sur un banc, prend le soleil. «Ça ne me dérange pas, le bruit», explique l’adolescent. «S’il y avait moins de voitures, on serait tous d’accord», acquiescent en chœur Nathalie et Valérie, qui vivent ici depuis vingt-cinq ans. Elles montrent les voitures à la queue leu leu sur l’avenue qui mène au périphérique et soupirent. «C’est la stagnation qui fait la pollution. Mais quand on entend qu’on veut réduire ou supprimer la circulation, ce n’est pas non plus une solution, ajoutent-elles. Plus de voitures électriques, d’accord. Mais on aura toujours besoin de véhicules.»

Voilà Nicolas, 23 ans qui vit derrière les Mercuriales, deux immenses tours. Il est étudiant en informatique. Il dit «entendre constamment le bruit des voitures» et souffre d’asthme et de problèmes respiratoires. Il constate qu’il y a toujours «énormément de circulation, quelle que soit l’heure» à laquelle il part ou revient chez lui. Sa mère connaît, comme lui, des problèmes d’allergie. Déménager ? «Oui, si on pouvait, mais c’est une question d’argent», explique-t-il. Le périphérique extérieur est fluide, il faut cinq minutes pour atteindre la Porte de Bercy. La rue Belgrand, qui mène à la place Gambetta est, elle, saturée : la voie cycliste est aussi large que celle réservée aux voitures… Sur un panneau, comme un clin d’œil, une annonce pour l’exposition «la Voix de la forêt», du 5 mars au 7 juillet, avec Théodore Rousseau, au Petit Palais. Théodore Rousseau, «artiste avant-gardiste qui a su capturer l’essence même de la nature, la transformant en une voix puissante contre les ravages de l’industrialisation». A la veille du prochain rendez-vous du Climat Libé Tour à Paris, Libération a recueilli des témoignages sur les pollutions.

«Comment fait-on pour arriver à l’heure ?»

Assala, 23 ans, assistante d’éducation en collège et lycée, animatrice dans un centre socioculturel municipal de la ville de Bagnolet (Seine-Saint-Denis).

«On se rend compte qu’être constamment à côté d’une voie où il y a des bouchons, avec, autour de soi, des personnes malades, cela vous impacte. Avant, j’habitais à la Noue [quartier de Bagnolet, ndlr]. On a déménagé à Bondy (Seine-Saint-Denis). C’est fatigant, les embouteillages et les voitures qui klaxonnent en permanence en bas de chez soi… C’est dommage que les gens prennent autant leur voiture.

«En journée, on prend souvent les transports en commun. Bus-train-métro, cela prend un peu plus de temps, quarante-cinq minutes pour faire Bagnolet-Bondy. Même si les stations ne sont pas toujours à portée de main, il faut marcher pour les trouver. A Bagnolet, un seul bus passe toutes les trente minutes. Il est souvent bondé. Plusieurs fois ma mère a dû descendre du bus parce qu’elle faisait des crises. Quand on habite en région parisienne, comment fait-on pour arriver à l’heure, quand on sait qu’il y aura trop de monde dans le RER ? En espérant en plus qu’il n’y ait pas de grève à ce moment-là… Je serai au travail au moment des Jeux olympiques, cela va être blindé. Je ne sais pas comment je vais rentrer chez moi. Plus le temps passe, plus le pass Navigo coûte cher, cela incitera à avoir une voiture. D’ailleurs pour les sorties le soir, c’est inévitable.»

«Je demande souvent si on peut baisser les sons»

Chayma, 22 ans, est étudiante en école d’ingénieur, à Strasbourg dans l’Espace européen d’entreprises.

«Quand je rentre chez moi, les gens ne sont plus au travail et le silence règne. La pollution et le bruit sont des sujets qui m’intéressent parce que tout le monde est concerné. Je suis sensible au bruit. J’ai fait des études scientifiques. Pour entrer dans une école d’ingénieurs, je m’intéressais à ce qu’il fallait mettre en place pour la création d’isolation phonique dans un bâtiment. Les choses qui me gênent : quand j’allais à l’école, le bruit des enfants dans la cour, à la cantine, les enfants qui crient… Autour de moi, les gens ne ressentent pas les choses de la même manière. C’est une sorte de zone de tolérance.

«Quand je vais dans les magasins, j’ai toujours un casque sur la tête pour oublier ce qui se passe autour, et ne pas entendre. C’est dommage d’en arriver là… Je mets la musique assez forte pour oublier cet environnement sonore. Je n’ai rien demandé et suis obligée de subir. Je suis allée voir l’ORL, qui m’a dit que j’entendais normalement. Le bruit au cinéma me dérange aussi, je fais l’effort, mais cela peut être pesant. La boîte de nuit, les mariages sont proscrits, les manifestations, j’évite. Je demande souvent si on peut baisser les sons. Quand je suis chez moi, je demande que les gens parlent avec la porte fermée. Récemment, j’ai effectué un stage ouvrier et, pendant ce stage, c’était assez compliqué… J’avais des bouchons d’oreille pendant six semaines, c’était l’horreur. La boîte fabriquait des lavabos, ce sont des machines qui lèvent les pièces et font du bruit. Entendre cela toute la journée à répétition, c’était pénible pour moi…»

«Je veux provoquer un déclic chez les jeunes de mon quartier»

Emre, 25 ans, est autoentrepreneur dans la vidéo et la photographie. Il gère les réseaux sociaux de différentes entreprises.

«Je suis né au Neuhof [quartier de Strasbourg, ndlr]. La première chose qui m’a frappé, c’est quand j’étais jeune, alors qu’on ramassait les déchets dans le quartier. Réduire l’écologie dans les quartiers à ramasser les déchets, c’est léger… L’écologie populaire c’est plus profond que cela. Pourquoi les déchets sont là ? Comment faire en sorte qu’ils ne se retrouvent pas ici ? Je veux provoquer un déclic chez les jeunes de mon quartier.

«Avec une formation sur le climat, cela devient moins flou. Je ne savais pas ce que voulait dire bilan carbone, cela que représentait une tonne de CO2. On met le doigt sur ce que cela provoque, le lien avec le permafrost, les particules fines… Quand on écoute les experts ou les journalistes à la télévision, on ne comprend pas toujours. La zoonose ? Le fait que la maladie et les virus se transmettent quand les gens se rapprochent des habitats naturels des animaux…

«Pour le bruit ? Les scooters et les pétards, j’ai grandi avec eux. Une détonation ne me surprend pas. Mon cerveau ne l’entend même plus. Pour ce qui est de la pollution, je suis aussi né avec. Je connais des problèmes respiratoires. J’ai toujours été asthmatique, je ne sais pas si cela vient de mon environnement. Mais on est entourés d’usines dans le Neuhof. Je sais que certains ont des asthmes plus poussés que le mien. Mon grand-père est décédé d’une maladie du cœur, il avait la quarantaine. Il travaillait dans une usine qui a été classée “à risque pour la santé”, juste à côté du Neuhof. Les médecins n’ont pas voulu en dire plus… Tous ceux qui vivent dans les quartiers ont hâte d’en sortir, mais ailleurs c’est plus cher. Et il y a toute la famille, les amis.»

«40 000 décès prématurés à cause des particules fines»

Antoine Trouche est ingénieur chez Airparif, responsable des relations avec la presse et de la médiation scientifique.

«Pour Paris intra-muros, hors périphérique, les trajets en voiture ont été divisés par deux en vingt ans. Le nombre de kilomètres parcourus en voiture a, lui, diminué de 20 %. L’oxyde d’azote et les particules fines ont diminué de 35 % dans les dix dernières années. Cela est lié à la baisse de trafic et au remplacement progressif de vieux véhicules par de plus neufs, moins émetteurs de polluants de l’air. Il y a eu une amélioration globale de la qualité de l’air, grâce à la baisse des activités de chauffage, au changement du parc technologique. En Ile-de-France, quand on n’est pas à proximité des axes de circulation, le niveau d’oxyde d’azote baisse de 20 % et celui des particules fines de 40 %. Côté chauffage, la rénovation thermique des bâtiments a beaucoup joué. 49 % des particules fines sont le fait du chauffage au bois Ile-de-France, même s’il ne représente que 5 % du chauffage global utilisé. Le trafic routier reste émetteur de la moitié d’oxyde d’azote dans la région.

«On estime à 6 200 le nombre de personnes décédées prématurément en 2019 en Ile-de-France à cause des particules fines, soit presque 10 % des décès annuels. En France une étude de santé publique France conclut à 40 000 décès prématurés par an, soit 7 % pour la France entière.»