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La proximité, dernier antidote contre la «démo-anxiété»

Dorian Dreuil, directeur d’études de l’Institut Bona fidé et expert associé à la Fondation Jean-Jaurès, invite les citoyens à faire vivre localement la démocratie en recréant des espaces de dialogue et de rencontres de nos diversités de pensées.
Selon les baromètres d’opinion, l’état de la démocratie est source d’angoisse pour les citoyens. (wassam siddique/Getty Images)
par Dorian Dreuil, directeur d’études de l’Institut Bona fidé, expert associé à la Fondation Jean-Jaurès
publié le 15 avril 2025 à 19h03

Face à la défiance des citoyens vis-à-vis de l’Etat, des institutions ou de la politique, quel rôle les collectivités locales peuvent elles jouer ? Tel était l’objet d’un colloque organisé à Rouen par le Centre national de la fonction publique territoriale. Un événement dont Libération est partenaire.

Pour qui ausculte la société et prend la température des turpitudes qui la traversent, il est un diagnostic imparable : une crise existentielle est à l’œuvre dans le pays, sans qu’on arrive véritablement à la définir. Les peurs, de l’autre, de la fin du mois, de la guerre ou de la maladie s’entremêlent à toutes les échelles de la société. Mais l’un des symptômes les plus visibles, et le plus contagieux du reste, est pourtant sous nos yeux. Depuis des années, une épidémie de «démo-anxiété» touche l’ensemble des citoyens français.

Les baromètres d’opinion et les lendemains d’élections ne disent pas autre chose : l’état de la démocratie est source d’angoisse. Alors que depuis quinze ans, le Cevipof analyse les dynamiques de la confiance des citoyens envers le personnel politique, jamais nous n’avons connu une telle défiance de la société vis-à-vis du politique. D’après la dernière vague (février 2025), seuls 26 % des Français déclarent encore avoir confiance dans la politique. Les institutions démocratiques ne sont pas épargnées comme en atteste la douzième édition de l’enquête Fractures françaises (novembre 2024) de la Fondation Jean-Jaurès, le Monde, le Cevifop et l’Institut Montaigne dans laquelle 78 % des Français estiment que la «démocratie ne fonctionne pas bien».

Premier tour anticipé

A ces enquêtes d’opinion il faut désormais ajouter les lendemains de scrutins qui ne sont désormais plus seulement des gueules de bois politiques pour quelques-uns mais des lendemains démocratiques qui déchantent pour tous. C’est particulièrement le cas auprès des plus jeunes. Dans la troisième édition du «Rapport Jeunesse(s)» (janvier 2025) réalisé par le Cercle des économistes, 74 % des 18-30 ans estiment qu’ils ne se sentent pas représentés alors même qu’ils se sont mobilisés comme rarement lors des élections législatives anticipées de l’été dernier. Ce triste sentiment que la démocratie ne fonctionne plus comme elle devrait le faire est ce qui nous relie désormais les uns aux autres.

Sans nouvelle «surprise du chef» (de l’Etat) et dissolution de l’Assemblée nationale, les prochains bulletins de vote seront ceux des élections municipales de mars 2026. Pour que cette élection participe à l’apaisement du pays, elle devra porter sur l’innovation démocratique. L’échelle locale n’est pas qu’un espace de vie géographique, elle est aussi un lieu de proximité politique. C’est là où le politique règle les problèmes de la vie quotidienne et aussi là où elle peut recréer des espaces de dialogue et de rencontres de nos diversités de pensées, de vivre et d’agir dans la cité. La longue histoire de la démocratie n’enseigne pas autre chose, c’est à l’échelle des villes que nous avons créé le système démocratique et qu’il n’a cessé de se réinventer depuis. Du tirage au sort de l’ecclésia dans la cité d’Athènes à la sérénissime république de Venise jusqu’à l’invention des budgets participatifs à Porte Alegre au Brésil en 1989.

Cette élection ne va pas seulement fixer des positions politiques et des résultats électoraux locaux pour les six années des mandats municipaux à venir. Ce sera le dernier scrutin avant l’élection présidentielle de 2027. Il s’agit donc ni plus ni moins d’un premier tour anticipé au sein duquel les villes peuvent devenir le dernier rempart face aux autocrates aux portes du pouvoir.