Transports, rénovation industrielle, végétalisation… En 2024, Libé explore la thématique de la transition écologique lors d’une série de rendez-vous gratuits et grand public. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires. Première étape de notre seconde édition, Bordeaux, les 9, 10 et 11 février (entrée libre sur inscription). Un événement réalisé en partenariat avec la ville de Bordeaux et le département de la Gironde avec le soutien de l’Université de Bordeaux, le Crédit coopératif, l’Agence de la Transition écologique (Ademe), la Fondation Jean-Jaurès, le magazine Pioche ! et Vert le média.
Le bâtiment est dans un drôle d’état. La construction neuve s’enfonce dans la crise, avec des promoteurs qui mettent la clé sous la porte et des grands noms du secteur, tel que Vinci, qui préparent des plans de départ. Une autre branche, la rénovation énergétique des bâtiments, devrait quant à elle dans les prochaines années apporter un surcroît d’activité et des créations d’emplois en nombre. L’espoir se niche dans la feuille de route de la planification écologique publiée en juin 2023, avec l’objectif de baisse des émissions de 60 % pour ce secteur d’ici à 2030. Pour y parvenir, une enveloppe de 4 milliards d’euros consacrée aux dispositifs MaPrimRénov est prévue dans la loi de finances de cette année. Christophe Béchu, le ministre de la Transition énergétique, l’a répété lors de ses vœux, le gouvernement compte passer de 90 000 en 2023 à «200 000 rénovations performantes en 2024».
Afin de mener à bien ces multiples chantiers, les seules reconversions des salariés du neuf vers la rénovation ne suffiront pas à pourvoir l’ensemble des postes, affirme France Stratégie, l’organe de réflexion sous l’égide de Matignon, dans une étude consacrée au sujet en juin. D’ici à 2030, le surplus d’emplois lié à la rénovation énergétique serait en effet compris entre 170 000 et 250 000, d’après les scénarios élaborés par l’Ademe, Negawatt et France Stratégie. Cela représente une hausse de près de 11 % entre 2019 et 2030 de l’emploi des métiers du bâtiment, contre 6,5 % sans prendre en compte le scénario bas carbone. «Il n’y a pas beaucoup de secteurs où on est à peu près sûrs que la transition va créer des emplois, le bâtiment en est un», remarquait Cédric Audenis, commissaire général adjoint de France Stratégie.
Départs en retraite massifs
Pour le moment, la rénovation tarde à prendre le relais du neuf. La période est marquée par une baisse du nombre d’entreprises labellisées RGE (reconnu garant de l’environnement). Elles ne sont plus que 61 100 dans ce cas contre 65 000 en 2022, alors que cette certification est requise pour bénéficier des aides. «Nous sommes dans le creux de la vague avec de nombreux chantiers dont la signature est suspendue», constate Vincent Legrand. Le gérant de l’institut Negawatt décrit «un effet de ciseau» : «D’un côté, la hausse des prix de l’énergie incite à rénover ; de l’autre, la hausse des taux d’intérêt ralentit toute la machine, tout comme les changements dans les mécanismes financiers et les nouvelles règles.» Depuis le 1er janvier 2024, MaPrimRénov subventionne la décarbonation des équipements de chauffage et d’eau chaude sanitaire, et «MaPrimRénov parcours accompagné» vise à multiplier les rénovations performantes avec l’obligation d’avoir recours à un «accompagnateur».
A en croire Olivier Salleron, le président de la Fédération française du bâtiment, la rénovation devrait quand même créer 50 000 emplois supplémentaires dès cette année et les entreprises se démènent pour «garder les compagnons compétents et ne pas licencier les salariés», comme lors des crises précédentes des années 2010. Ce trou d’air passé, les besoins de main-d’œuvre concerneront, avec une intensité variable, tous les métiers. Les ouvriers qualifiés du gros œuvre et second œuvre seront ceux qui feront le plus défaut en 2030, estime France stratégie. Ces métiers, comme celui de maçon ou de couvreur, peu attractifs, enregistrent déjà des taux de départ élevés. La démographie n’aide pas, les départs en retraite chez tous les artisans devraient être massifs dans les prochaines années. L’ensemble du territoire va être confronté au manque de salariés, avec des tensions plus fortes dans les Hauts-de-France et le Grand Est, régions les plus froides où le fioul chauffe de nombreux logements, ainsi qu’en Ile-de-France.
Un travail de fourmi
Outre un vaste chantier pour améliorer les conditions de travail et les rémunérations de ces métiers, il faudra aussi un gigantesque effort de formation. «En France, nous ne sommes pas équipés pour faire face à des reconversions massives de personnes déjà en activité, qui ont 30, 40 ou 50 ans», considérait la secrétaire générale de la CFDT Marylise Léon lors de l’avant-dernière édition du Climat Libé Tour à Dunkerque. C’est un travail de fourmi tant le secteur est atomisé. Or «pour les chantiers de rénovations performantes, plusieurs postes de travaux doivent être coordonnés, comme l’isolation des murs et des toitures, le chauffage, les menuiseries extérieures…, énumère Vincent Legrand. Ces travaux sont réalisés par des artisans, essentiellement des structures de moins de vingt salariés, qui n’ont pas de capacité de formation ni de recherche et développement».
Il explique que la réussite des rénovations n’est pas conditionnée à une révolution technologique, puisque les matériaux performants existent, mais plutôt aux gestes supplémentaires que les ouvriers doivent réaliser. «On ne va pas apprendre à un menuisier à poser une fenêtre, mais quelle catégorie de vitrage choisir ou comment travailler avec le plaquiste pour apposer le scotch le mieux possible entre la fenêtre et le placo…», explique le même. Des détails d’importance.