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Compte rendu

La santé, avant tout une question collective

Qu’il s’agisse du travail d’équipe au sein d’un hôpital ou de la prévention des maladies (qualité de l’eau, pollutions diverses, conditions de travail…), la santé est une affaire d’intérêt général. Retour sur le débat organisé à Marseille le 6 octobre.

Service de réanimation de l'hôpital Robert-Ballanger à Aulnay-sous-Bois, le 12 mars 2025. (Albert Facelly/Libération)
Publié le 09/10/2025 à 2h23, mis à jour le 09/10/2025 à 10h23

Culture, éducation, justice, information, sciences… Syndeac, le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, organise en 2025 une série de débats pour souligner le rôle et l’importance des services publics dans la société. Une série d’événements dont Libération est partenaire. Retour sur le débat «Les défis du service public de la santé», le 6 octobre à Marseille.

Que recouvre l’expression «service public de la santé» ? Et d’ailleurs, que veut vraiment dire «être en bonne santé» ? Alors que la Sécurité sociale, qui a fait de la France un modèle de protection unique en son genre, fête cette année ses 80 ans, se tenait le 6 octobre au théâtre La Criée à Marseille un débat sur notre système de santé publique — ses missions comme ses difficultés.

Organisée par le Syndeac, qui rassemble des théâtres et compagnies dans le domaine du spectacle vivant, et en partenariat avec le collectif Nos Services Publics et Libération, cette rencontre s’inscrivait dans un cycle de huit débats consacrés à la place du service public. L’un des objectifs : faire des théâtres, souvent uniquement conçus comme des lieux d’expérience artistique, des agoras citoyennes où se réfléchissent les enjeux collectifs contemporains.

«Besoins essentiels»

La discussion porte d’abord sur la définition du terme : pour Arnaud Bontemps, coporte-parole du collectif Nos Services Publics, «le service public est un mot qu’on emploie souvent, mais qu’on définit peu, alors que les réalités qu’il recouvre ont largement évolué dans le temps.» Il rappelle qu’il s’agit avant tout d’un choix politique, d’une manière pour la société de reconnaître des besoins essentiels à un moment donné et de décider de les rendre accessibles à tous, en les sortant du marché grâce à un financement socialisé. «Mais la santé n’est pas systématiquement envisagée comme un service public : les hôpitaux eux-mêmes sont en concurrence avec les cliniques privées, et le système de soin de proximité en amont des hôpitaux repose sur des cabinets libéraux», ajoute-t-il.

Lire aussi l’interview croisée de Robin Renucci, directeur du théâtre de La Criée, et Michèle Rubirola, première adjointe au maire de Marseille

Cheffe du service de radiothérapie de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille (AP-HM), Laetitia Padovani nuance : «Je ne suis pas certaine que les médecins de ville n’aient pas conscience de faire partie d’un service public de la santé». Si la médecine de ville est libérale, explique-t-elle, c’est avant tout parce qu’elle ne bénéficie pas de la même structure collective que l’hôpital. «Mais au fond, vu le prix d’une consultation, on reste dans une médecine accessible, donc publique d’une certaine façon».

Droit fondamental, la santé n’est pas seulement l’absence de maladie : ce que rappelle l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) quand elle la définit comme «un état de complet bien-être physique, mental et social». Une vision complète et dynamique que Claude Marblé, praticien hospitalier et médecin du sport, embrasse : «La vie, c’est le mouvement. Même au repos, le corps bouge, et ce mouvement a une importance thérapeutique essentielle». Pour lui, ce qui caractérise notre système de santé publique tient aussi, en tant que praticien, à des éléments moins tangibles : «Ne pas compter le temps avec le patient, par exemple. C’est aussi le travail en équipe qui m’a toujours motivé à l’hôpital». Il évoque aussi cette richesse du travail pluridisciplinaire, où il suffit de «descendre deux étages» pour recueillir l’avis d’un autre spécialiste sur un dossier.

Parcours de soins

Comment assurer une continuité des soins fluide, alors que les déserts médicaux se multiplient ? Pour Laetitia Padovani, le lien entre la médecine de ville et l’hôpital s’est «effiloché», même si des efforts sont faits pour le retisser. Elle rappelle le rôle du médecin généraliste, maillon essentiel pour assurer une bonne communication dans des parcours de soins complexes. Coordinatrice en parcours de rééducation après cancer, la médecin Violaine Forissier nuance : selon elle, il revient au service hospitalier de superviser l’ensemble du parcours de soins, en prenant en compte la vulnérabilité de certains patients.

Tous s’accordent : l’«excellence thérapeutique» qui caractérise l’AP-HM ne se résume pas à la technique. «C’est bien sûr le geste médical de pointe, mais aussi la capacité à mobiliser ensemble des acteurs différents pour soigner et guérir», pointe Violaine Forissier. C’est aussi la manière de gérer, en plus du soin quotidien et de la recherche, une transformation épidémiologique de nos maladies, avec une importance croissante de maladies chroniques plutôt qu’infectieuses, notamment à cause de la prééminence des facteurs environnementaux. Laetitia Padovani résume : «L’excellence, c’est un plateau technique à la hauteur, des équipes humaines solides et complémentaires, et des traitements de référence coûteux accessibles à tous grâce à la Sécurité sociale.»

Cet accès aux soins couvre plusieurs niveaux, et ne se résume pas à la gratuité des traitements. Sociologue spécialiste des questions de santé et de migration, Céline Gabarro rappelle combien compte l’accessibilité des établissements, notamment la localisation des centres experts pour certaines pathologies rares, et la préservation des droits sociaux. «En 1945, l’objectif de la couverture maladie était de protéger tout le monde contre les aléas de santé, rappelle-t-elle. Mais certaines catégories de population se sont progressivement retrouvées exclues de ce système. La loi Pasqua a ainsi subordonné la Couverture Médicale Universelle à la régularité du titre de séjour, alors qu’auparavant seule la résidence sur le sol français comptait». Aujourd’hui, l’aide médicale d’État (AME), à laquelle peuvent prétendre les étrangers en situation irrégulière, est régulièrement stigmatisée. «Or, le droit au soin, c’est aussi le droit d’être reçu, souligne-t-elle. Et de nombreux témoignages de patients font état d’un refus de prise en charge…»

Pour Violaine Forissier, la santé est d’abord une question collective : «Les comportements individuels et le système de soins comptent finalement pour très peu des déterminants de santé : la majorité provient des conditions socio-économiques et environnementales (qualité de l’eau, pollutions diverses, conditions de travail…)». Autant d’enjeux profondément politiques, qui nécessitent une prévention globale, bien en amont de l’hôpital. «Il est urgent de rappeler cette dimension globale, qu’une maladie comme le cancer illustre bien».

Les intervenants pointent enfin une certaine crise de vocation — notamment dans le secteur infirmier, qui connaît une désaffection massive — et les signes d’épuisement présentés par de nombreux soignants. Devant ce constat, il paraît d’autant plus nécessaire d’inventer de nouveaux récits du soin — comme le projet 99 Soignant•es, qui a réuni sur la scène de La Criée au printemps dernier une vingtaine de soignants pour représenter autrement le quotidien du personnel hospitalier.