Depuis ses débuts, le Climat Libé Tour, événement tourné vers la jeunesse, associe à chacune de ses étapes une école de journalistes locale (CFJ à Paris, ESJ à Lille ou Dunkerque, Ejcam à Marseille, Ijba à Bordeaux) afin que les étudiants couvrent, avec leurs regards, l’actualité des forums. Reportages, comptes rendus, portraits, photos et édition… Ces articles sont issus de leur travail.
La vie de Bertrand Caltagirone a basculé il y a deux ans. Ancien fonctionnaire à l’Agence nationale des jeux, il a décidé d’entrer en «résistance civile» en 2022 en s’engageant au sein du mouvement Dernière Rénovation, qui a multiplié les actions chocs pour prôner la rénovation thermique des bâtiments. «J’avais une anxiété aussi importante, une difficulté à me projeter dans l’avenir», se souvient le jeune homme de 30 ans pour justifier ce changement de vie. Fin janvier, Dernière Rénovation annonçait dans un communiqué devenir Riposte Alimentaire, adoptant comme nouvelle cible l’instauration d’une Sécurité sociale de l’alimentation. Bertrand Caltagirone revient sur son engagement en faveur de cette cause, qui prône une écologie populaire permettant aux citoyens de reprendre le pouvoir sur leur alimentation.
Quel bilan tirez-vous des actions du collectif Dernière Rénovation ?
Tous les experts qui ont travaillé pendant plus de vingt ans pour faire avancer la question de la rénovation énergétique sont d’accord pour dire que depuis qu’on a mis ce sujet sur la table, la pression sur les pouvoirs publics s’est accrue.
Le dispositif Ma Prime Rénov a été amélioré, les budgets ont été augmentés, de manière encore insuffisante mais quand même. On a aussi eu des périodes très fortes de mobilisation qui nous ont donné énormément d’espoir. On a aussi eu des périodes plus creuses. On s’est rendu compte que ce n’était pas évident de maintenir une dynamique croissante de mobilisation sur le long terme.
En quoi consiste le projet de Sécurité sociale de l’alimentation que vous souhaitez mettre en place ?
L’avantage pour l’expliquer, c’est qu’en France on a déjà un système de sécurité sociale. Il faut imaginer une carte vitale qui permette à chaque personne en France d’avoir accès à 150 euros de denrées alimentaires par mois et par personne.
Il ne s’agirait pas de n’importe quelles denrées alimentaires. Les produits seraient conventionnés parce qu’ils répondraient à un cahier des charges qui serait défini démocratiquement. A l’échelle locale, par quartier ou par arrondissement, des assemblées citoyennes décideraient selon quels critères on pourrait conventionner les produits. L’idée serait que les produits qu’on puisse acheter avec cette carte vitale de l’alimentation soient des produits bons pour la santé, produits localement, avec un impact environnemental le plus faible possible.
En quoi ce système permettrait d’agir globalement sur la crise climatique ?
C’est un outil de transition très fort, puisque cela inciterait l’ensemble du secteur agricole à transitionner pour que leurs produits soient conventionnés par ce système. Cela devra être aussi complété par des aides de l’État pour accompagner les agriculteurs et les éleveurs.
Aujourd’hui, on sait qu’il y a une concordance entre santé et écologie. Les produits qui sont bons pour la santé, ce sont aussi des produits bons pour la planète, parce qu’ils sont plus nutritifs et ils n’ont pas été cultivés sur des sols épuisés par les produits phytosanitaires. La Sécurité sociale de l’alimentation permettrait de sortir de la surconsommation de sucre et de calories pour assurer un équilibre nutritif satisfaisant.
Pourquoi laisser aux citoyens le choix de décider quels produits seront conventionnés ?
C’est un pari qui se rapporte à la nécessité d’une écologie populaire. Aujourd’hui, un certain nombre de mesures écologiques sont vues comme étant des mesures technocratiques, qui tombent du haut vers le bas.
Nous sommes convaincus que la transformation de nos sociétés doit passer par une délibération collective, pour que les citoyens définissent ce dont ils ont besoin pour se nourrir. Cela n’exclut pas la pédagogie et l’information, on l’a vu avec la convention citoyenne pour le climat. Aurions-nous pu imaginer que 156 citoyens tirés au sort produisent un cahier des charges de propositions écologiques ambitieuses et justes socialement ? Ils l’ont très bien fait car ils ont été accompagnés par plusieurs experts qui ont nourri la réflexion des personnes tirées au sort. Il n’y a pas de raison que ça se passe différemment avec la Sécurité sociale de l’alimentation. On sait qu’à partir du moment où les gens sont réunis avec des outils d’intelligence collective pour délibérer de ces questions, ils trouvent les bonnes solutions.
Comment convaincre les citoyens de s’engager dans ce projet ?
On doit mettre en place tout un nouveau récit qui sort de la publicité. Aujourd’hui, on est dans un système qui nous incite constamment à consommer des produits soi-disant désirables à acheter, et notamment des denrées alimentaires.
On peut évidemment faire du boycott et choisir sa consommation, mais là ça va beaucoup plus loin puisqu’on propose aux citoyens de prendre le pouvoir sur la production même, d’avoir une influence fondamentale sur les conditions de production des produits alimentaires.
En quoi la désobéissance civile peut-elle aider le projet de Sécurité sociale de l’alimentation ?
Il y a deux niveaux. D’abord, on est là pour compléter ce qui existe déjà à l’échelle locale. Le collectif pour la Sécurité sociale de l’alimentation a déjà beaucoup d’antennes en France, avec énormément d’initiatives locales qui tendent à se rapprocher du modèle que l’on souhaite, à Montpellier par exemple.
Avec la désobéissance civile, on essaye d’apporter un coup d’accélérateur en mettant en avant cette mesure très peu discutée à l’échelle nationale. Nous, on aimerait que des candidats aux prochaines élections portent ce sujet à l’échelle nationale. Pour cela, on a par exemple organisé une action en aspergeant la vitre de la Joconde pour mettre un coup de projecteur sur ce sujet, en pleine mobilisation des agriculteurs. On voulait voir la Sécurité sociale de l’alimentation comme une solution par le haut à ce mouvement social. Aujourd’hui, plusieurs actions sont prévues sur les routes comme ce qui a été fait avec Dernière Rénovation, mais aussi des actions ciblant la grande distribution.
Ne craignez-vous pas que le message que vous essayez de porter par la désobéissance civile disparaisse derrière le caractère spectaculaire de certaines actions ?
C’est effectivement le risque. C’est pour ça qu’on est toujours dans une démarche de recalibrage, on teste beaucoup de choses. Mais compte tenu de l’urgence climatique, on sait que l’on n’a pas grand-chose à perdre. Il faut éviter à tout prix de s’inhiber par peur que le message ne passe pas, parce qu’on n’a vraiment pas le temps pour ça.