Du 2 au 4 décembre, au Centre Pompidou, trois jours de débats et d’échanges pour s’interroger sur les liens entre transition écologique et transition culturelle. Retrouvez tribunes et articles dans le dossier thématique dédié à l’événement.
Avec Nuria Alvarez Coll, nous voulions écrire un livre sur les racines de la beauté. C’est un sujet qui me touche dans mes fondements, dans ce que je suis à l’intérieur, au plus profond, au plus intime. Pour Ken Robinson, pendant l’expérience esthétique, nos sens sont en éveil à leur maximum, et nous nous sentons pleinement vivants. L’inverse est l’inesthétique, quand les sens sont éteints et que nous sommes morts face à ce qui nous arrive. Par exemple, la société est morte et anesthésiée face à la crise écologique actuelle : nous parlons donc de sujets importants.
«Esthétique» vient du grec ancien «aisthêtikos» : la faculté de percevoir et de ressentir par les sens. L’esthésie ressemble à l’éveil du corps, de l’esprit et de l’âme. Il y a manifestement un lien entre cette notion de beauté et le fait de se sentir vivant. Vivre des expériences, toutes sortes d’expériences, qui nous font sentir pleinement vivant, c’est beau.
Une société mortifère ?
Il y a peut-être là un projet politique et écologique. Car si notre société est mortifère, n’est-ce pas parce qu’elle empêche les individus qui la composent de se sentir vivants ? Si nous sommes anesthésiés à l’intérieur, ne façonnons-nous pas, collectivement, une société mortifère ? Et inversement, si nous étions émotionnellement vivants, la société dans son ensemble ne pourrait-elle pas régénérer le vivant plutôt que de le détruire ?
Dans le champ de l’architecture en terre crue, qui est le mien, ces sujets m’ont toujours intéressé. Au-delà de toute réflexion écologique, sociale, économique ou culturelle, la terre, dans son expression matérielle la plus simple et la plus pure, recèle un potentiel émotionnel extrêmement puissant. Elle prend aux tripes et à fleur de peau. Il suffit de plonger ses mains dans la terre pour renouer avec cette charge émotionnelle et symbolique première, épidermique.
Choc esthétique
Ce rapport sensible à la matière, par le langage du corps, des sens et des émotions, se retrouve aussi dans notre rapport aux vivants. Les plantes, les arbres et la biodiversité en général sont bien plus émouvants que la terre, quand nous les éprouvons avec la même intensité et la même énergie que celle qui nous fait aimer la matière. De son côté, Sylvain Tesson parle du rapport à l’animal avec les mêmes mots que nous utilisons pour parler du rapport à la terre. Rencontrer un animal sauvage, c’est un choc esthétique à chaque fois !
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Ce rapport sensible existe aussi dans notre relation aux autres, dans le rapport au corps de l’autre en particulier, dans le domaine de l’amour et de la sexualité. Et intellectuellement, nous butons sur les deux grands tabous de la société : l’amour et la mort. Une société qui met l’amour et la mort sous le tapis ne peut être heureuse. Cela me semble le centre à explorer.
La beauté, se sentir pleinement vivant, l’énergie de vie, l’amour, la mort, la guérison de nos blessures du passé, l’écologie profonde : je sens que tout est relié. Je n’accepte plus de tout séparer.