Avec ses formules chocs, Antoine Buéno, conseiller au Sénat et essayiste, a donné le ton des débats à la première table ronde «Agir ici et maintenant, comment faire ?». C’était vendredi soir dans la grande salle de la microbrasserie Little Atlantique Brewery, en bord de la Loire. «La transition, elle, ne fait pas rêver, c’est du sang et des larmes. D’autant plus que les premières victimes ne votent pas : l’océan, les forets, l’Afrique, les enfants. Pourtant cette horrible crise environnementale est peut-être la chance de la démocratie directe.»
Le débat a glissé vers l’activisme avec en ligne de mire le terme d’éco-terrorisme. «Il y a vingt ans, la désobéissance c’était l’atteinte à la propriété. Ça a évolué. Aujourd’hui, à quel moment les actions sont vues, médiatisées», s’est questionnée Sylvie Ollitrault, directrice de recherche en science politique au CNRS. Pour avoir de la visibilité, «il faut du sabotage, des atteintes aux biens. Alors certains pensent à des actions violentes directes». Pour Antoine Buéno, la question est tranchée : «Il faut être hyperclair. La violence physique est inévitable. Il n’y a pas eu une seule lutte de l’histoire qui s’est faite sans. Il y a toujours eu le bad cop et le good cop. L’un fait peur, l’autre obtient des choses et négocie.» Face à ces propos, la militante Camille Etienne a voulu nuancer en rappelant les responsabilités : «Les Soulèvements de la terre n’ont jamais appelé à la violence contre des personnes. En revanche si on veut condamner la violence, on peut condamner la FNSEA pour les suicides d’agriculteurs […] Le sabotage, l’action directe sont des moyens efficaces sur le chemin vers la paix.» Tandis que Christophe Cassou, climatologue, auteur du Giec, soulignait : «A l’été 2022, 60 000 décès sont attribuables à la vague de chaleur. N’est ce pas violent 60 000 décès évitables ?» Avant d’insister : «Le changement climatique n’est pas une crise comme on le dit trop souvent, c’est une trajectoire. On ne peut pas négocier avec cela. Ce n’est pas une opinion, mais des faits scientifiques. On doit agir vite et maintenant.»
«On ne convint jamais un climatosceptique»
Dans ce contexte, celui de l’urgence, Christophe Cassou a aussi témoigné des difficultés rencontrées dans l’opinion. «Oui, on a à faire à un regain de climatoscepticisme, notamment sur les réseaux sociaux pour propager le doute, dénigrer la communauté scientifique qui serait, selon leurs accusations, pilotée par les lobbies.» Un constat partagé par Camille Etienne plutôt lucide : «Le problème c’est qu’on ne convint jamais un climatosceptique, on y perd toujours.»
L’agriculture, la bétonisation, les transports… Samedi, plus terriennes, à l’hôtel du département de Loire-Atlantique, les interventions se sont poursuivies. Tableau sombre à l’ouverture du débat du matin «Comment manger sans abîmer nos terres ?». Présidente du Giec ligérien, Virginie Raisson-Victor a rappelé les prédictions pour les Pays-de-la-Loire, une des régions a priori les plus touchées par le changement climatique : «Avec l’élévation des températures, on s’attend à des phénomènes de sécheresse, de canicule et d’inondation.» Sur les volumes d’eau, alors que le territoire sort tout juste de plusieurs semaines consécutives de précipitations intenses, elle a précisé : «Il n’y aura pas d’évolution majeure mais les répartitions vont être différentes avec moins d’eau en été et plus en hiver, des pluies plus denses, tropicales sur un sol très artificialisé où l’eau s’infiltre moins. Il y aura également un impact sur le littoral avec l’élévation du niveau de la mer, un recul du trait de côte, un risque de submersion. Le secteur agroalimentaire va être bouleversé, dans une région où 70 % du territoire est consacré à l’agriculture.»
«Nos régimes alimentaires déterminent le type de culture»
A ses côtés Benoît Rolland, agriculteur de la ferme des 9 Journaux à Bouguenais a fait valoir d’entrée de jeu : «Moi je ne précise pas que je suis en agriculture biologique. C’est une évidence. Ça devrait être aux chimiques de spécifier qu’ils sont en chimique.» Puis les intervenants se sont penchés sur les projets de méga méthaniseur qui essaiment actuellement en France. Avec Audrey Pulvar, adjointe à la mairie de Paris en charge de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts : «Valoriser les déchets, en faire de l’énergie, pourquoi pas. A l’échelle d’une installation paysanne, ça a du sens, on amende la terre, ensuite cela génère des revenus. Mais ça n’a rien à voir avec la super méthanisation qui coûte très cher et prend le problème à l’envers car elle vient changer la nature des cultures. On en vient à planter pour alimenter le méthaniseur.» Avant de rappeler l’impact du consommateur et l’absurdité de la logique agricole actuelle. «Nos régimes alimentaires déterminent le type de culture, le profil des exploitations, si la production est en bio ou pas, plus ou moins carné, local ou pas, a souligné Virginie Raisson-Victor. On importe le fourrage du Brésil, on élève ici et on désosse en Pologne, ça n’a plus aucun sens.»
L’après-midi, la table ronde «Construire : faut-il laisser béton ?» s’est intéressée au choix des termes et des définitions pour évoquer la ZAN, la politique de zéro artificialisation des terres. Avec Marion Waller, directrice du Pavillon de l’Arsenal : «Qu’est-ce qu’un espace naturel ou artificiel ? Ces questions sont émergentes et tout le monde manque de référentiel. On doit définir et réguler tout ça.» Un vocabulaire et aussi un imaginaire à recréer. «Comment on construit la ville ? Si on veut des animaux dans l’espace public, il faut penser continuité végétale, trame verte, planifier pour les autres espèces que l’homme, a-t-elle poursuivi, voir comment ces autres espèces pratiquent la ville et passent d’un parc à un autre.» Avant de revenir sur la réhabilitation des friches, une des pistes de la ZAN. Maire de Dainville, Françoise Rossignol, a illustré : «En fait la question, c’est de savoir si les friches sont là où les gens veulent vivre ? Dans le Nord-Pas-de-Calais, elles sont loin de l’activité économique.» Une problématique confirmée par Franck Boutté, ingénieur et grand prix de l’urbanisme 2022 : «Un peu plus de 8 % des bâtiments sont considérés comme vacants mais tout ça, ce sont des calculs de coin de table. On oublie l’habitant et là où il désire vivre […] Est ce qu’on peut lui dire à sa naissance, on connaît déjà ton parcours résidentiel. Tu vas habiter sur le site d’une ancienne raffinerie pas loin du départ des lignes à haute tension, parce que c’est une friche.»
«Un abattoir, c’est le pays de la mort»
Enfin, lors d’une des dernières tables ronde dimanche, «Comment réinventer notre manière de raconter nos terres ?», l’écrivaine Isabelle Sorente a hypnotisé la salle avec son témoignage sur les abattoirs et l’immersion «animiste» qu’elle y a vécue. «Dans ce long couloir comme dans une aérogare, il y a 5,6 personnes qui gèrent 20 000 bêtes. Les porchers sont des militaires, en permanence confrontés à la mort et à des questions éthiques et existentielles.» Afin de contredire le vocabulaire technique utilisé pour cacher la réalité – «on ne dit pas abattoir mais outil», l’écrivaine a invoqué l’importance d’un autre récit, celui de l’émotion et des couleurs. «Un abattoir, c’est le pays de la mort, il fait froid, les combinaisons sont blanches, les hommes sont petits avec des grands couteaux au bout des doigts.» Avant de conclure : «Cette réalité est une facette de notre monde.»
Triste constat sur une planète malade. Et promesse d’autres débats, mi-décembre, pour la sixième étape du Climat Libé Tour à Marseille.