Menu
Libération
Enquête

Les élus sur le front des «haters»

Face aux fake news climatiques, comment réagissent les élus des majorités écologistes à la ville et la métropole de Lyon ?
Pierre Athanaze de la mairie de Lyon : «On pense aux réseaux qui grouillent de fake news mais il n’y a pas uniquement des choses faites en sous-marin, ça peut aussi être une lettre ouverte publiée dans un média national.» (Oscar Wong/Getty Images)
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 23 mai 2025 à 7h00

Quitter X ou ne pas quitter X, pour garder du répondant face aux haters, aux crédules ou aux simples indécis ? Tel a été le dilemme de nombre de femmes et d’hommes politiques de gauche durant l’année écoulée. A la métropole de Lyon, son président écologiste, Bruno Bernard, a décidé «d’y rester, pour ne pas se couper d’une veille sur ce qui s’y dit et de la réponse qu’on peut y apporter», explique son cabinet. Continuer à ferrailler sur le réseau social qui verse dans l’obscurantisme depuis son rachat par le milliardaire d’extrême droite Elon Musk, lieutenant zélé du trumpisme, permet «pour l’instant» à l’exécutif de la plus grosse collectivité française pilotée par des écolos de continuer à «parler à des communautés qui ne font pas la transition vers d’autres réseaux», plutôt que de ne s’adresser qu’à «une base militante déjà convaincue» sur Bluesky ou Mastodonte.

Le combat contre la désinformation reste «un travail de fond et de fourmi, de pédagogie permanente» pour conserver une «légitimité forte», considère Bruno Bernard, qui «assume d’expliquer» car «ce n’est parfois pas possible de réduire la complexité de certains sujets à 140 caractères». Elue en 2020 pour la première fois au suffrage universel, forte d’un budget de 3,9 milliards d’euros en 2025 pour 1,4 million d’habitants, sa majorité de gauche plurielle s’est aguerrie aux polémiques, souvent nées de réactions irrationnelles. «Dans ma délégation, je plante des arbres, ça se passe bien, on a explosé les chiffres et la végétalisation, c’est quelque chose qui se voit, explique Pierre Athanaze, vice-président à l’environnement. Mon collègue qui construit des pistes cyclables, lui, se fait clouer au pilori en réunion publique, alors qu’il fait la même chose que moi dans le fond, c’est le même objectif qui nous anime.»

Un sujet parmi la masse de ceux traités à cet échelon territorial continue de produire, notamment en ligne, son lot de mésinformation, voire de fausses infos : l’instauration de la «zone à faible émission» (ZFE). «C’est un dispositif issu de lois votées à l’Assemblée et en tant que collectivité, on se doit de le mettre en place», rappelle Pierre Athanaze. Or ses opposants sont «arrivés à biaiser complètement le discours» : «Tout est fait pour faire croire que la ZFE est une invention des écolos, qu’on l’a créée parce qu’on est antibagnoles, alors que le dispositif a été entamé avant nous et qu’on est dans un calendrier prévu par la loi. On serait ces bobos qui veulent priver les pauvres de leur voiture, or les plus pauvres n’en ont même pas et ce sont les plus atteints par les maladies respiratoires issues des pollutions atmosphériques.» Cette réalité n’empêche pas les antis de trouver un large écho, sur lequel capitalise une frange de l’échiquier politique.

«On pense aux réseaux qui grouillent de fake news mais il n’y a pas uniquement des choses faites en sous-marin, ça peut aussi être une lettre ouverte publiée dans un média national», soupire Pierre Athanaze en référence à la tribune que s’est offerte le 30 avril dans le JDD un collectif d’élus de droite à la ville de Lyon, au département du Rhône et à la région Auvergne-Rhône-Alpes, dénonçant une «dérive» nimbée d’«idéologie» et de «décroissance», qui sacrifierait une «terre d’innovation» sur l’autel de l’«écologie punitive». Alors quelle réponse apporter à ces manœuvres, sans alimenter pour autant le clash partisan ? «Toujours se tourner vers des faits, vers des données scientifiques produites par des organismes indépendants de la métropole», avance Pierre Athanaze. Car les fake news peuvent «aussi mettre le doute à des gens de bonne foi», abonde le cabinet de Bruno Bernard, qui a choisi «de se concentrer sur le local, où il a une redevabilité».

Etre comptable de ses réalisations comme de ses manquements, c’est l’un des principes posé dès sa campagne par le maire écologiste de Lyon, Grégory Doucet, lui aussi élu en 2020 à la tête d’un attelage «vert-rose-rouge». «Cette notion est indispensable en démocratie pour donner du sens à l’exercice de la responsabilité, quand on s’est engagé pour les autres à faire en leur nom, et pour rendre compte de l’utilisation de l’argent public», souligne-t-il. Plus que prétendre «faire de la pédagogie», avec l’écueil d’alimenter la caricature des écolos donneurs de leçons, il s’agit de «faire de l’accompagnement», rappelle Sylvain Godinot, adjoint à la transition écologique : «On a besoin de se mettre à disposition des gens pour les aider à changer, il faut aller vers la population de manière beaucoup plus importante. Le coût de la résistance au changement, personne ne veut le payer, les pouvoirs publics espèrent que les gens vont se débrouiller seuls mais en réalité, ça ne marche pas.»

Avec 207 écoles à gérer, «la masse d’informations, de suivis, d’incompréhensions et de mécontentements» que cela peut générer, Stéphanie Léger, adjointe à l’éducation, s’astreint à son credo de proximité : «Etre là pour expliquer, faire des points d’étape réguliers, pour rectifier, réorienter parfois.» Sur la question des repas végétariens ou celle de la végétalisation des cours d’école, qui ont fait l’objet de nombre de contre-vérités ces cinq dernières années, l’élue s’adresse à une «communauté très large, où tous n’ont pas les mêmes attentes». Personnels de l’Education nationale, parents et enfants, employés municipaux et acteurs associatifs : «Je peux comprendre qu’ils n’adhèrent pas à ce que nous portons politiquement, mais je ne dis jamais qu’ils n’ont pas compris, c’est que je n’ai pas su convaincre.»